40 ans de réflexion. Pas vraiment. Les traumas restent, les boyaux s’aèrent, les victimes se préparent, et le Mal sans visage attend, tapi dans l’ombre de sa propre béance. Car les bourreaux ont peur aussi. Peur de se reconstruire, et d’envisager 40 ans d’abstinence meurtrière. Puisque cet Halloween 2018 se conçoit comme une suite directe à l’œuvre séminale de Carpenter, faisant fi de toute la mythologie grand-guignolesque de cette anthologie boiteuse.


Secte & apocalypse, relation frère-sœur houleuse, décapitation fraternelle, résurrection nonsensique, Mal immortel, le mythe Michael Myers s’est extrait de la réalité pour s’ériger avec le temps un statut presque surnaturel. Une icône sans cesse vouée à se réinventer, à se réactualiser, à se déconstruire pour mieux se recomposer. Comme pour creuser toujours plus profondément cette réflexion sur la Nature du Mal et ses multiples projections possibles. En témoigne l’appropriation viscérale de Rob Zombie, fixant son regard sur la nécessité des masques et l’accentuation de l’abomination. Halloween en 2018 ne déroge pas à ce processus, et poursuit/revisite le mythe en le confrontant à une inversion, dans le respect de l’œuvre originelle. Une œuvre dans l’air du temps finalement. Une tenue de garagiste, un masque, et ça repart.


Le prologue se construit sur cette résurrection, et se « figure » comme une invitation à la résurgence, une exhortation à revêtir le Masque. Ce talent pour apparaître de manière totalement imprévisible. L’ouverture hésite pourtant à succomber au sacrilège du dévoilement : Myers y est presque « dénudé », filmé de dos, légèrement de profil, sur le bord du cadre, flou ou en contre-plongée. Et même grisonnant, défraîchi par le temps, il reste cette icône impassible, mutique, suscitant encore et toujours, panique & agitation. « Say Something ». Le générique vient alors rompre brusquement les supplications, rupture qui exauce en quelque sorte une pulsion nostalgique, en jouant sur un effet de reproduction (cette même plastique portée par un zoom-avant sur une citrouille éclairée de l’intérieur) et de reconstruction : une citrouille massacrée, recollant ses propres morceaux, probablement ceux d’une saga qui s’est égarée/ fourvoyée, de suites en remakes.


Mais les mêmes notes obsédantes résonnent. Alors que les frissons cinéphiles parcourent notre corps en transe, Carpenter renaît : les bons vieux synthés de Big John sont de sortie. La jubilation, à l’état pur, et probablement, le meilleur moment de cet Halloween 2018. Il y avait dans l’œuvre de Carpenter cette idée de pénétration des corps, pénétration de la virginité, et de perversion de l’innocence. Jeunes puceaux et pucelles, prenez garde, le cinéma d’horreur viendra faucher votre innocence. L’Halloween de David Gordon Green laisse de côté le symbolisme vaginal de l’œuvre de Carpenter, pour recentrer ses thématiques autour du féminisme en marche (et cette transmission du cauchemar de mère en fille, car l’histoire et les hommes ne changent jamais) et de la « masculinité toxique », un concept intimement lié à l’actualité. D’où le fait que Myers se retrouve piégé par ses propres obsessions.


Puisque toute sa mécanique narrative fonctionne sur une inversion. Celle du chasseur chassé, et de sa victime vengeresse. A l’instar de cette Inversion du « fantôme », ne cachant pas le meurtrier mais bien sa victime. Laurie a remplacé Michael, un monstre en a créé un autre, la Scream Queen a mué en une prédatrice traquant sa proie. Sa légende est en marche. Peppermint ? Grand-mère bad-ass, dans la lignée des Sarah Connors et Ripley, Jamie Lee Curtis s’en donne à cœur joie, nostalgie oblige, mais son interprétation frôle à certains instants le risible. De poursuivie par le traumatisme, elle se met à poursuivre le trauma : Laurie a désormais le contrôle sur son destin, sur son propre Mal, et est bien décidée à la faire à l’envers au « croquemitaine » : tombée du balcon, elle devient Michael, et disparaît dans son propre mythe. L’inversion est totale.


Cependant, le même schéma se redessine : échappée de l’hôpital psychiatrique, référence aux « Baby Sitter Murders », séquence similaire à celle de l’original (et des meurtres de Linda et Bob), « Close to Me » à la radio, reproduction du décor originel (dans la construction des cadres, et les lignes de fuite), etc. Mais la reproduction a ses limites. A force de planter et replanter le couteau, le corps s’altère, se désintègre et perd en qualité, en efficacité. Les codes se ré-exploitent, mais la menace s’efface derrière l’académisme. D’autant plus lorsque la méthode consiste à oublier les suites pour en réutiliser des effets, et des morceaux d’intrigues : une séquence d’effroi sur la cuvette, l’instant toilette déjà mis en scène dans Halloween 20 ans après, et le remake de Rob Zombie. Tout comme cette idée de trauma, de mère ultra-protectrice (à la différence que le fils Josh Hartnett est remplacé par la fille Judy Greer), de traque adolescente (cette impression que quand on a 17 ans, Myers se met à nous traquer) et d’inversion, réflexions déjà abordées dans Halloween 20 ans après, oui encore lui. Mr Sandman ?


Dans un superbe plan séquence pavillonnaire où Myers se mêle à la chasse aux bonbons, David Gordon Green « recrée » la légende, lui redonne sa forme, son masque impassible, sa lame aiguisée, et son statut de Mal absolu. Il traverse littéralement les décors, les Images, les cadres : la fluidité, les sur-cadrages, le massacre hors-champ, la réappropriation du couteau (d’un mouvement du plan d’ensemble à un gros plan, telle une pulsion meurtrière retrouvée) contribuent à recomposer la malveillante silhouette, « The Shape ». Comme pour raconter son Histoire, et ressusciter le Monstre qui respire en lui.


Dans cette logique de réadaptation, David Gordon Green travaille sur le champ, et le hors-champ, le visible et la disparition. Il reprend les mouvements « voyeuristes » de l’œuvre de Carpenter, via des travellings-arrière sur trottoir, et joue sur des effets d’attente. Michael Myers se retrouve lui aussi cadré à travers des jeux de miroirs, des absences et des sur-cadrages. Une manière de jouer sur sa mythologie via l’espace, et sa béance. L’impression de retrouver cette construction carpenterienne du vide, cette béance, ce chaos originel. Puisque le retour aux sources passe nécessairement par une reprise des codes. Le cauchemar renaît : il est ce vide noir, cet espace invisible, cette présence dans les portes entrouvertes d’un placard, ce Monstre sans Cie dans les chambres d’enfants.


Pourtant, cet Halloween à la sauce 2018 se déguste tiède : l’(im)parfait accord entre sang chaud et sang-froid, me direz-vous. Jamais il n’arrive à s’émanciper complètement, à exister par lui-même. La réappropriation n’est jamais totale, et David Gordon Green semble être dans un état d’hésitation permanent, entre respect de l’œuvre et vision personnelle. Cela crée non seulement de nombreux problèmes de rythme, mais également un décalage assez grotesque, amenant ennui et impression d’inabouti. A l’image de ces personnages creux et anecdotiques.


Laissons néanmoins les mythes reposer en paix. Il suffira en effet d’une maison de poupée, réplique de la maison des Myers dans l’ouverture de La Nuit des Masques, pour envisager l’émancipation. Comme un souvenir du fardeau que Laurie porte, son trauma, son The Shape. La maison brûle, l’origine se relègue au passé, mais sa forme, elle, disparaît, et recrée son propre mythe. Il respire encore, et « will be back », comme il est courant de dire.


The Evil Force Awakens…


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le 30 oct. 2018

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