Je vais commencer par des remerciements. A Senscritique et à ses membres, en particuliers Gwangelinhael qui m'a fait découvrir ce site. Depuis que je me suis inscrit, l'émulation y est telle que j'ai eu envie de combler des lacunes, de comprendre pourquoi j'aimais ou je détestais des œuvres.
Pourquoi de tels remerciements maintenant ? Parce que grâce à vous, j'ai découvert un chef d’œuvre : Harakiri.
J'ai fini l'année en regardant Les Sept samouraïs d’Akira Kurosawa, que je connaissais et que je n'avais pas vu (critique à venir). Première claque.
Et j'ai tendu l'autre joue à un inconnu : Harakiri, de Masaki Kobayashi. Deuxième claque.
J'ai les joues qui chauffent.
Les deux ont eu un point commun chez moi : désacraliser le samouraï. Ces deux chefs d’œuvre présentent la misère des samouraïs et des ronins, réduisant les uns à accepter une mission suicide pour une poignée de riz, poussant les autres à vendre leur sabre et avec, leur honneur. Mes préjugés exotiques tombent, tant mieux.
Quand le film commence, il y a la musique de Tôru Takemitsu. En bon occidental nourri au western, je me suis dit que j'avais trouvé l'Ennio Morricone nippon. Et cette impression de far-west ne me quittera jamais. La relation entre le ronin Hanshiro Tsugumo et l'intendant a tout du duel, mais un duel déséquilibré. Celui d'un homme qui n'a rien perdu contre tout un clan, contre les règles du shogunat.Car la puissance du film de Kobayas réside dans cette dimension sociale.
« Après tout, cette chose que vous appelez "Honneur du Samouraï" n'est finalement rien d'autre qu'une façade! » (Hanshiro Tsugumo)
Voila un propos étonnant dans un chambara, dont le réalisateur réussit à transcender le genre. Car l'histoire est toute en subtilité. Le ronin démonte, avec malice, l'hypocrisie de ces codes, tout en les exploitant, car les règles du seppuku lui permette d'entrer chez son ennemi. Des règles à double tranchant, une ambivalence qu'exploitent le scénariste Shinobu Hashimoto et le réalisateur sans jamais tomber dans la facilité ou dans le manichéisme.
Je renvoie à l'excellente analyse de Christophe Gans sur « la critique sociale, philosophique et humaniste adressée ici par Masaki Kobayashi dans le contexte du début des années 60 »
« Le début des années 60 est ainsi au Japon une sorte de prè-1968 dont rendra également compte Nagasi Oshima dans Nuit et brouillard au Japon. Ce à quoi s'attaque Masaki Kobayashi dans ce film en costume, c'est à la confiance dans un gouvernement. Est-ce que nous pouvons avoir confiance dans les choses qui nous dirigent ? Masaki Kobayashi met en accusation la construction pyramidale de la société. Dans ce film, il n'y a pas comme dans les films de sabre classique un méchant désigné qui se bat bien. Là, le monstre, c'est l'état féodal. Celui-ci est représenté dès les premières minutes du film par une armure vide qui représente l'honneur d'un clan. Cette armure est le symbole du pouvoir : quelque chose qui a l'air fort et qui est vide de toute humanité. Lors du combat final, le héros va s'en emparer et la traîner pour désacraliser cette représentation de l'état féodal dans ses règles et ses codes les plus incroyables dont le plus cruel est le Harakiri. » (Source)
Le second choc est la célèbre (sauf de moi jusque-là) du harikiri avec un sabre en bambou. Une scène dure, sanglante, qui situe toute la violence de cette époque pourtant dominée par la paix. La violence n'est pas que physique, elle est aussi sociale, celle qui pousse un pauvre aux derniers retranchements (désolé), et humaine, celle d'hommes qui poussent à la souffrance et à la torture cet autre au nom d'une morale codifiée.
L'humain est d'ailleurs le cœur de ce chambara, et non pas l'honneur comme nous pourrions nous y attendre.
« Il était peut-être un samouraï, mais il était également un homme de chair et de sang. » (Hanshiro Tsugumo)
Je passerai rapidement sur la façon de filmer, car mes faibles connaissances techniques m'en empêchent. Pour une analyse poussée des plans, je vous invite à lire cet article de Critikat, ainsi que l'excellente critique de Sergent Pepper.
Je soulignerai seulement que j'ai trouvé l'esthétique incroyable, notamment dans la mise en valeur des espaces vides. L'utilisation du travelling entraîne une tension saisissante, offrant une fluidité sans pareil dans les échanges de ce duel tout d'abord verbal, accentuant ainsi le changement de domination des deux personnages.
Le découpage de l'histoire est en soi une merveille. L'utilisation du flash-back est très ingénieuse. L'anecdote du début, la mort de Chijiwa, s'avère au final l'acte fondateur, la jonction entre l'histoire de Tsugumo et la situation actuelle. Ce récit a toutes les qualités d'un thriller moderne, nous assistons là au seppuku d'un Keyser Söze. Le duel bascule au fur et à mesure. Le pauvre ronin pathétique se dévoile petit à petit un grand maître dans l'art de la guerre, sapant petit à petit la forteresse orgueilleuse du clan Ii. Je me rappellerai longtemps du rire Tsugumo, à la fois désespéré et machiavélique, point de bascule dans le jeu de la domination.
D'ailleurs, je termine là en saluant la performance de Tatsuya Nakadai dans le rôle de Tsugumo. Il partage avec Toshirô Mifune, que j'ai vu auparavant dans Les sept samouraï, un physique imposant et un panel de jeu très large, passant d'un immobilisme physique (en opposition avec les intonations puissantes de sa voix) à des combats d'une grande virtuosité.