Étonnement peu connu dans nos vertes contrées, Breaker Morant appartient à cette catégorie de classiques du cinéma Australien dont la renommée n'est plus à faire et dont le succès permit à son metteur en scène de migrer gaiement vers Hollywood, afin d'exploiter pleinement tout son potentiel artistique. Les oubliables Driving Miss Daisy et Double Jeopardy sont d'ailleurs là pour en témoigner. Contrairement à ce que le titre français et l'affiche peuvent évoquer, nous n'avons pas affaire à un simple film de guerre ou à un banal film d'action, mais bel et bien à un film de procès, dans la plus pure tradition du genre.


Généralement, dans un film de procès, tout est mis en œuvre pour créer un suspense autour de la condamnation ou non des accusés. Ici, l'histoire étant basée sur des faits réels, le dénouement est déjà connu de tous, du moins de tous les Australiens. Et si, comme moi, on ignore tout du destin d'Harry Morant et de son implication dans un épisode tragique de la guerre des Boers, la manière dont Beresford s'empare du sujet ne laisse planer aucun doute dans l'esprit du spectateur : les accusés finiront exécutés car ils ne sont que des pions à la merci de leur dirigeant, ils ne sont rien face à l'institution militaire qui leur fait face. D'ailleurs, on peut facilement reprocher au film de suivre gentiment un chemin balisé qui doit le conduire, sans encombre, à un dénouement que l'on a deviné dès les premiers instants. Si suspense et originalité ne sont pas ses principaux atouts, Breaker Morant n'en demeure pas moins un film qui se suit avec intérêt, grâce notamment à la qualité de la mise en scène et de l'interprétation : le soin apporté à la reconstitution et la sobriété de la réalisation renforcent joliment le cachet historique du film ; les flashbacks donnent une vraie vigueur au récit tout en nourrissant sa pertinence ; Edward Woodward, Jack Thompson et Bryan Brown vont incarner avec beaucoup de justesse le drame humain qui se joue, insufflant une vraie épaisseur à ces personnages broyés aussi bien par la guerre que par l’intérêt national.


Si Breaker Morant ne révolutionne nullement le genre, la description qu'il nous fait de la réalité de la guerre, ainsi que le questionnement qu'il soulève, vont rendre son propos plus fin qu'il n'y paraît. Alors bien sûr, on ressent assez vite la sympathie de Beresford pour Morant et, de ce fait, le piège du manichéisme n'est pas totalement évité. Malgré tout, le discours sera constamment nuancé, notamment grâce aux flash-backs qui vont opposer les points de vue : l'intérêt du pouvoir Britannique, qui voit dans cette condamnation un bon prétexte pour entamer des pourparlers de paix en position de force, est judicieusement évoqué. La question soulevée par le film ne manque pas de pertinence : la fin d'une guerre ne mérite-t-elle pas le sacrifice de quelques hommes ? À cela s'oppose un point de vue purement humain, celui de ces soldats qui risquent de mourir pour avoir suivi simplement les ordres de leur hiérarchie. Derrière ce dilemme moral, se dessine alors le froid constat d'une guerre forcément sale, forcément injuste, où chacun, du simple soldat jusqu'au pouvoir politique, a sa part de responsabilité dans l'horreur. Si l'hypocrisie des responsables politiques et militaires est dénoncée avec virulence, celle du soldat qui se cache derrière l'ordre reçu pour s'adonner au massacre l'est tout autant.


Souvent impertinent et clairvoyant, Breaker Morant est un film qui mérite d'être découvert. Certaines facilités ne sont pas évitées, comme l'image des condamnés qui avancent, main dans la main, vers le lieu de leur châtiment. Malgré tout, le film est agrémenté d'un soupçon d'élégance, avec ce final très mélancolique, ainsi que d'un zeste de cynisme, avec la vision de ces corps que l'on place, coûte que coûte, dans des cercueils trop petits, rappelant avec force la détermination de l'armée à imposer sa propre réalité.




Créée

le 1 sept. 2022

Critique lue 46 fois

4 j'aime

Procol Harum

Écrit par

Critique lue 46 fois

4

D'autres avis sur Héros ou salopards

Héros ou salopards
AMCHI
6

Il n'y a pas de héros en temps de guerre

Héros ou salopards est considéré comme l'un des meilleurs films du cinéma australien et en effet ce n'est pas un mauvais film pour autant je ne suis pas tombé sur une merveille.C'est un film qui...

le 16 oct. 2022

6 j'aime

3

Héros ou salopards
Procol-Harum
7

« Shoot straight, you bastards ! »

Étonnement peu connu dans nos vertes contrées, Breaker Morant appartient à cette catégorie de classiques du cinéma Australien dont la renommée n'est plus à faire et dont le succès permit à son...

le 1 sept. 2022

4 j'aime

Héros ou salopards
Jean-FrancoisS
7

Autorisation de tuer

Peu reconnu en France, "Héros ou salopards", sera pour Bruce Beresford sa carte de visite pour les Etats-Unis où il s'exilera peu de temps après ce film. Le réalisateur ne sera jamais très considéré...

le 6 déc. 2020

4 j'aime

Du même critique

Napoléon
Procol-Harum
3

De la farce de l’Empereur à la bérézina du cinéaste

Napoléon sort, et les historiens pleurent sur leur sort : “il n'a jamais assisté à la décapitation de Marie-Antoinette, il n'a jamais tiré sur les pyramides d’Egypte, etc." Des erreurs regrettables,...

le 28 nov. 2023

83 j'aime

5

The Northman
Procol-Harum
4

Le grand Thor du cinéaste surdoué.

C’est d’être suffisamment présomptueux, évidemment, de croire que son formalisme suffit à conjuguer si facilement discours grand public et exigence artistique, cinéma d’auteur contemporain et grande...

le 13 mai 2022

78 j'aime

20

Men
Procol-Harum
4

It's Raining Men

Bien décidé à faire tomber le mâle de son piédestal, Men multiplie les chutes à hautes teneurs symboliques : chute d’un homme que l’on apprendra violent du haut de son balcon, chute des akènes d’un...

le 9 juin 2022

75 j'aime

12