Heureux mortels
6.8
Heureux mortels

Film de David Lean (1944)

Avant de jeter dans l'épique, David Lean a, comme il se doit, fait ses classes.


Au cours des années 40, il est d'abord un monteur expérimenté qui ne tarde pas à travailler sur les films de Powell et Pressburger ("49eme parallèle", c'est lui).
Sa lucidité, la clarté de ses choix le dirige naturellement vers la réalisation. Après un "major Barbara" où il passera d'assistant à directeur pendant le tournage (mais sans être crédité pour autant), il va vite entamer une collaboration fructueuse avec Noel Coward, auteur, dramaturge et acteur célèbre de l'époque, pour constituer un nouveau duo légendaire des années 40 anglaises.


Coward est réfractaire à l'adaptation de ses pièces par le cinéma, très refroidi par ce qu'il a vu de "cavalcade" (Frank Lloyd, 1933) et surtout "Sérénade à trois" (oui oui, celui de Lubitsch, même année). C'est donc sur la base d'une collaboration réelle que le duo se forme. Très vite, les nombreux talents de Lean pour la réalisation définiront clairement les rôles de chacun (l'un écrit et adapte, l'autre met en scène et dirige), de nombreux petits bijoux vont voir le jour, fruit de la collaboration (souvent tumultueuse) des deux hommes.


Le premier film du duo est "Ceux qui servent en mer", en 1942.
Suivra deux ans plus tard ce "heureux mortels" ("This happy breed"), sujet de notre causerie du jour.


Si le film ne fut jamais tout à fait l'objet de l'affection de ses auteurs, il fut un grand succès populaire du moment, et je ne saurai blâmer tous ces braves britons de s'être jeter en masse vers ce film touchant, entre deux bombardements: le résultat valait carrément le coup.
Le choix de l'emploi de la couleur (encore rare en 1944) pour un tel sujet a sans doute permis d'attirer des gens qui ne se seraient peut-être pas déplacés pour ce type de film s'il vait été proposé en noir et blanc.


Cette séquence "monsieur cinéma" achevée, venons-en à ce que je pense de ce film, que diable !


L'essentiel du bonheur de ce métrage tient dans son écriture.
Les premiers plans du film survolent un Londres de 1919 pour plonger dans l'intimité de l'une de ses maisons, si semblable à toutes celles qui l'entourent. Pour se conclure, 20 ans plus tard, sur le même plan inversé, on s'éloigne et on reprend de la hauteur, après s'être plongé dans l'intimité d'une famille anglaise "respectable et modeste" comme le définit parfaitement le père de famille.


Entre l'emménagement et le déménagement, vingt années se sont écoulées, donc, et rien d'autre ne nous est proposé que le quotidien d'une famille anglaise. Sur ce postulat de départ un brun fleur bleue (la saga familiale est un genre peu masculin-à-testostérone, vous me l'accorderez), le film déroule avec tendresse ses milles et unes qualités.
Tout tient dans la sobriété de l'écriture, j'y reviens: les moments de joies ne sont pas sur-représentées ou surjouées (géniales scènes de beuveries toutes en retenues du père avec le voisin, ex-compagnon d'arme), les difficultés parfaitement rendues (les conflits de générations, d'éducation ou d'orientations politiques sont traités avec subtilité), rien n'est angélique (la discussion à propos de Queenie une des deux filles, à la suite du départ de cette derrière est poignante), et les drames, présents, sont filmés avec une sobriété absolue qui renforce immédiatement leur portée émotionnelle.


En résumé, un petit bonheur de 1h45, du pur cinéma anglais dans ce qu'il a de meilleur.
Et God knows si il a été bon au cours des années 40 et 50 la-bas.

guyness

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