Il y a plusieurs types de bandes annonces. Celle, scolaire, qui vous propose le pitch le plus efficace en vous synthétisant l’intrigue et ses éléments perturbateurs ; celle, plus lacunaire, qui se contente de mettre en place une atmosphère en dévoilant par un montage elliptique des fragments surprenants : décors, agissements hors-norme, musique. De cette dernière surgit souvent le désir d’en savoir davantage, de comprendre les raisons qui font qu’on aboutisse à un tel univers. La cohérence n’est pas nécessaire, son absence est même une composante essentielle de l’excitation : c’est une promesse, une tension vers des réponses différées, que le visionnage parviendra ou non à satisfaire.


High-Rise est une bande annonce, mais qui dure 2 heures. L’adaptation de Ballard par le trublion à l’origine du bien lourdingue English Revolution et du prometteur Kill List n’est pas une surprise : ce gout pour le chaos et la dystopie avaient de quoi l’exciter, voire inspirer certains de ses indéniables talents en matière d’image. La photo est impeccable, le travail sur l’espace et le désir de faire de l’architecture un personnage omniscient fonctionnent un temps, tout comme ce mélange habile entre contemporanéité et esthétique seventies (le roman étant sorti en 1975), au profit d’une sorte de rétro-futurisme que ne renieraient pas d’autres visionnaires comme le Gilliam de Brazil par exemple.


Le problème, c’est qu’il faut bien des habitants et une progression dans un cadre aussi minéral. Et c’est là que tout part à la dérive : non pas celle de cette civilisation se vautrant dans ses instincts les plus vils, mais bien dans la réussite à rendre prégnante celle-ci. Rien ne fonctionne : ni les portraits initiaux, et encore moins le mécanisme du chaos, auquel on assiste dans la plus grande indifférence. Réduire les problématiques sociales à une panne de courant ou la lutte des classes à un concours de parties ne semble même pas traité sur le mode ironique : dès lors, on barbouille les murs de sang et on parsème le sol de sacs poubelles, entre des séquences sommaires d’orgies, pour montrer sans nullement expliquer que, voyez-vous, cet immeuble métaphore de la société concentre tout ce qui se fait de pire en matière de dynamique sociale.


Les personnages récitent sans conviction des aphorismes sur le pouvoir et la prétendue liberté, on nous place des chevaux sur des terrasses et de la moquette sur les escaliers, et l’on fait fumer absolument tout le monde, (même la femme enceinte, t’as vu) souvent au ralenti, gage d’une classe ringarde qui pense par-là brandir son audace.


De ce fatras, il ne reste rien : point de discours, point de posture, ni fascination, ni émotion quelconque, visuelle ou sentimentale. Le spectateur n’est pas cloué au sol, il ne voltige pas non-plus dans les hautes sphères du surplomb. Il se rend simplement compte que cette maquette de synthèse est un petit (mais très long) clip qu’il aura très vite oublié.


(3,5, la photographie)

Sergent_Pepper
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le 6 août 2016

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