Tel un métronome, Hong Sang-Soo nous livre ses films avec une régularité qui ne traduit pourtant pas la grande liberté qu’il prend avec le cinéma. Chaque année apporte sa brique à l’œuvre, une brique parée de nouveaux apprêts, en apparence, mais très semblable à la précédente dans le fond.


Hill of Freedom, est la traduction du nom de ce café japonais quelque part dans Séoul, où les personnages du film prennent leurs quartiers. Hill of freedom, c’est aussi la liberté du réalisateur lui-même, qui se défait du carcan dans lequel il s’est enfermé dans ses derniers films, Haewon et les hommes, ou Sunhi encore plus récemment. Le cinéma de Hong Sang-Soo devenait de plus en plus radical, ne s’encombrant plus de grand-chose, à peine d’un scénario, ayant comme obsession unique le sujet de l’amour contrarié d’une jeune femme et d’un homme de cinéma plus mûr (enseignant à l’université, réalisateur,…) , un amour raconté en filigrane de la vie de personnages en quête d’eux-mêmes, à (très) grand renfort de soju. Ce cinéma est devenu tellement centré sur lui-même qu’on ne voyait pas comment le réalisateur allait pouvoir s’en dépêtrer. En prenant la tangente, Hong Sang-Soo s’en sort très bien avec ce film.
Ici, le personnage principal est japonais : Mori (Ryô Kase, vu dernièrement dans les Shokuzai de Kiyoshi Kurosawa) est un jeune sans emploi déterminé, aux contours mal définis, qui revient à Séoul pour y retrouver une femme qu’il a aimée , car « elle est une meilleure personne que (lui) ». Mori ne parle pas le coréen, et c’est en anglais qu’il va communiquer avec son entourage (un procédé décidemment dans l’air du temps , après le très récent Victoria de l’allemand Sebastian Schipper).


Kwon, la femme dont il est question ouvre le film, avec dans ses mains un paquet de lettres envoyées par Mori pendant une période qu’on imagine longue.
Kwon semble fragile, évanescente ; elle trébuche dans l’escalier, laisse tomber les lettres qui s’éparpillent sur les marches. Hong Sang-Soo va monter son film dans le même désordre que celui des lettres que Kwon a ramassées, puis lues ; une scène avant l’autre, sans aucun ordre logique si ce n’est celui du hasard. Une scène, voire pas de scène du tout, lorsque la lettre correspondante repose, oubliée, dans un coin de l’escalier. Hong Sang-Soo tient là une belle idée de mise en scène, une manière très poétique et ingénieuse de s’affranchir de la classique linéarité des films, voire des flash-backs. On se perd délicieusement dans son film. Dans son café préféré, Mori lit un livre sur le Temps, et le spectateur ne sait pas, lui non plus, s’il est dans le présent, le passé ou le futur, ni même s’il est dans la réalité.


Avec Sunhi, Hong Sang-Soo a donc atteint certaines limites de son dispositif. Avec Hill of freedom, il a trouvé le moyen de parler encore et toujours de ses thématiques habituelles en les mettant en lumière sous un jour totalement différent. L’infidélité est toujours là, la femme un peu polissonne aussi (belle prestation de Moon So-Ri, une habituée du cinéaste) ; l’alcool coule toujours autant à flots, mais le vin remplaçant le soju, et une soirée éclairée d’une belle lumière mordorée donnent une toute autre ambiance aux habituelles beuveries ; le protagoniste fait des rencontres au travers de ses déambulations dans la ville, mais ce sera notamment un occidental marié à une coréenne, un lien avec ce monde dont le réalisateur se sent si proche.


Il montre donc avec ce nouveau film qu’il est un grand cinéaste qui sait jusqu’où « ne pas aller trop loin », et rebondit joliment vers cette version renouvelée de ses fantasmes de la femme idéale, qu’il poursuit de film en film. Malgré une esthétique aléatoire, des crash-zooms à l’emporte-pièce, une caméra numérique qui écrase tout : paysage , lumière, personnages ; malgré un décor impersonnel et minimaliste, et malgré une durée très ramassée de 66 minutes, malgré tout ça ou grâce à tout ça, Hill of freedom est un film riche et réussi, comme si l’introduction de ce personnage étranger (procédé déjà utilisé avec Isabelle Huppert dans Another country) change la perspective et apporte une sorte de nouvelle pudeur, de nouvelle fraîcheur, à l’ensemble du métrage. Le film est drôle par petites touches, plus enjoué que d’habitude. L’usage de l’anglais, cette langue étrange et étrangère apporte comme une couche de mystère dans des relations qui sont autrement un peu plus abruptes dans les films de Hong Sang-Soo, et dans les films coréens en général.


Hill of freedom , ou la démonstration qu’en 66 minutes et en parlant du temps qui passe, du temps qu’il fait, d’un chien qui part et d’une femme qui revient, on peut réaliser un petit bijou, le meilleur film du coréen depuis un certain temps.

Bea_Dls
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le 16 juil. 2015

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