Le parallèle est inévitable. En 2011, Maïwenn surprenait son petit monde avec Polisse, une représentation quasi-documentaire de la brigade de protection des mineurs -Prix du Jury à Cannes- qui s’avérait d’une force et d’une brutalité sans concession, le tout agrémenté de séquences légères et sensibles. C’est un peu ce que l’on retrouve avec Hippocrate, le second film de Thomas Lilti, qui nous offre une vision humaniste du milieu hospitalier avec ces espoirs, ces déceptions et les difficultés du métier. Première chose qui frappe avec ce film, c’est que Thomas Lilti est un scénariste et réalisateur à ses heures perdues et qu’il a avant tout suivi un cursus médical. Praticien et fils de médecin, il apporte tout naturellement son expérience personnelle à Hippocrate, film qui en devient presque autobiographique. A savoir que le prénom du personnage principal -Benjamin- est le second prénom du réalisateur. Acharné dans ses deux professions, Thomas Lilti n’a certes réalisé que deux longs et deux courts métrages mais il a également écrit les scénarios de Mariage à Mendoza et Télé Gaucho, deux comédies sympathiques sorties fin 2012 et début 2013, où l’on retrouvait déjà respectivement Philippe Rebbot et Félix Moati.

Et il faut dire que l’apport personnel de Thomas Lilti est une vraie force pour ce film qui trouve la justesse et le réalisme des situations que comporte un service hospitalier. Émouvant, amusant, parfois dur, le réalisateur porte un regard humaniste et social sur la profession et notamment sur ces disparités d’appréciation et d’échelons entre ces médecins étrangers et ces jeunes internes à la même enseigne. Hippocrate est un film qui apporte une réflexion médiatique et culturelle sur l’hôpital d’aujourd’hui, avec les difficultés de procéder à des soins qui bénéficient toujours moins de moyens ou de ces questionnements sur la fin de vie. Thomas Lilti lance avec empathie un nouveau pavé dans la marre, la narration n’offrant quasiment aucune liberté d’être en désaccord avec le réalisateur. Le plus intéressant dans le film vient du fait que le réalisateur aborde son scénario avec une approche presque documentaire. Il n’ira jamais jusqu’au bout des choses, tout juste une brève interview face caméra de Vincent Lacoste racontant sa sensation d’être un médecin. Hippocrate lorgne donc davantage vers le docu-fiction que le romanesque pur. La caméra tremble, l’immersion est assurée mais l’aspect documentaire s’arrête là. On ne ressent pas de situations marquantes, tout juste quelques patients atypiques aux crises aiguës ou un homme à la consommation d’alcool extrême. Documentaire également lorsque le réalisateur aborde les relations entre les personnels de l’hôpital. En ce sens, on y découvre les différentes strates d’une micro-société interne, où les médecins étrangers logent dans des chambres minables, à côté d’internes puérils qui ne pensent qu’à faire la fête et chercher les emmerdes. On retrouve à nouveau le côté très personnel du réalisateur puisque le film a été tourné dans un hôpital où il avait déjà pratiqué. C’est ce genre de détails qui apporte la justesse et la richesse d’un récit qui apparaît relativement réaliste. Un récent article du Figaro mettait en avant le fait que les étudiants en médecine affirmaient que le film Hippocrate était même un « portrait réaliste et criant de vérité » de l’hôpital et montrait bien les conditions de travail actuelles.

A la tête de Hippocrate, on retrouve un duo d’acteurs qu’on n’attendait pas vraiment ensemble. Tout d’abord Vincent Lacoste qui interprète pour la première fois un rôle relativement mature, il s’agit d’ailleurs de son premier rôle où son personnage pratique un métier. Fini les personnages d’ados attardés, et place peut-être à l’avenir à des rôles plus matures, plus sérieux. Son côté désinvolte persiste malgré cette volonté d’appuyer le sérieux de ce nouvel interne. Vincent Lacoste assure le boulot sans véritablement impressionner. C’est davantage Reda Kateb qui lui vole la vedette dans ce rôle d’urgentiste étranger précaire. Médecin humain porteur d’une morale sur le bien-être du patient, il est l’élément clé du film et ses choix le mettront dans une situation aussi délicate que déterminante pour l’avenir de l’hôpital. Bouleversant et tellement impliqué, Reda Kateb confirme qu’il est l’un des acteurs franco-arabes du moment et son parcours aux Etats-Unis (Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow) confirme son côté bankable. On le retrouvera prochainement dans la première réalisation de Ryan Gosling (Lost River) et Qui vive de Marianne Tardieu. A leurs côtés, une brochette de seconds rôles sympathiques comme Jacques Gamblin (Le Nom des Gens), Félix Moati (Libre et assoupi) ou Philippe Rebbot (Mariage à Mendoza).

Si Hippocrate est indéniablement un film d’une rare justesse sur le milieu hospitalier, le film s’avère en revanche trop peu ambitieux, trop peu marquant, peut-être trop romancé pour laisser une impression aussi durable que Polisse. L’aspect léger du film le rend plus accessible mais limite l’impact à la sortie du film. Sans force et grandeur, Hippocrate est tout juste un film représentant avec une certaine réussite le quotidien des personnels hospitaliers mais ne tend jamais à aborder les vrais réflexions de la médecine actuelle. De fait, le réalisateur-scénariste se retrouve à compléter son intrigue avec des situations lassantes et prévisibles. Il est dommage qu’avec un tel travail de reconstitution des situations hospitalières, on se retrouve à soupirer parce que Thomas Lilti tombe aussi lamentablement dans la facilité. La séquence d’état d’ébriété de Vincent Lacoste en est la preuve. A la sortie du film, on n’en vient à penser que Hippocrate n’est qu’un film banal au potentiel dramatique faible et que seul son travail sur les décors et la reconstitution du milieu hospitalier lui offre un intérêt durable.

Déséquilibré et ne sachant jamais sur quel pied danser, oscillant entre le docu et la fiction, Hippocrate offre un rôle fort à Reda Kateb, une représentation pertinente du milieu hospitalier et aborde quelques réflexions actuelles mais ne va jamais plus loin que le film sympathique et réfléchi que l’on oublie assez vite. C’est d’autant plus regrettable que le travail de reconstitution de cet univers par le réalisateur ET praticien qu’est Thomas Lilti aurait pu être d’une force et d’une émotion incroyable. Le film s’en tire (seulement) avec les honneurs et l’impression d’avoir assister à un film sympathique. Frustrant, mais c’est déjà ça.
Softon
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le 9 sept. 2014

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Kévin List

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