D'abord, j'ai eu la grande chance de voir ce film, cette création!, aux côtés de Susan Sontag, qui avait écrit sur le travail de Syberberg (http://www2.iath.virginia.edu/holocaust/sontagsyberberg.html). C'était au milieu des années 1990, à la cinémathèque de Toronto (Canada), lors d'un événement consacré à l'Allemagne. Susan Sontag l'avait choisi elle-même pour l'occasion, et nous l'avait présenté juste avant le début de la séance, complétant de quelques explications pertinentes et sensibles, comme elle seule peut en faire sur la photographie, pendant les pauses, car il y en eu 2 ou 3. Le film dure plus de 7h.

Quelle chose étrange d'entrer dans cet univers théâtral dès le matin, et d'y passer la journée ou presque, alors qu'au dehors la lumière éclaire une ville où la vie suit son cours, presque insouciante. Et surtout si loin, si loin de se douter, et de trouver écho, à ce qui se passe sur l'écran, ou plutôt dans l'écran, tant le travail de lumière, de jeu avec les objets et les sons nous donne l'impression d'y être, comme sur un plateau.

Ce film, dont les images et les personnages étranges bougent encore dans ma mémoire, reste un de mes plus grands moment de cinéma, non, plus encore, d'expérience cognitive et esthétique.

Syberberg évite l'illustration, le faire vrai ou vraisemblable du cinéma réaliste, et construit avec des objets qui ne font pas décor ni environnement mais installation, un espace de réflexion sur les fils ayant tissé le monstrueux.

Son regard sur ces années hitlériennes nous est donné à voir par tout un dispositif matériel et dramaturgique qui nous transporte dans l'histoire de l'art -et son rôle dans la prise de pouvoir du nazisme- et dans une réflexion sur les formes, les modalités de représentation de réalités écrasées par un trop plein de matière et le besoin humain de se projeter dans des images, fussent-elles délirantes et phantasmées, par écran interposé, jusqu'à se faire happer, dans l'Allemagne des années 30 et 40, par un écran-dictateur théâtral et théâtralisé, une machine à broyer de l'humain. Et à marquer au fer rouge notre si fragile humanité.

À voir.
JohanneTremblay
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le 3 juin 2011

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