I Am Mother
6.1
I Am Mother

Film de Grant Sputore (2019)

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Au premier jour après l'extinction de l'humanité, Mother se réveilla.
Gardien de milliers d'embryons dans un bunker ultra-sécurisé, ce droïde à la voix aussi tendre que celle de Rose Byrne avait pour tâche apparente d'assurer la survie de notre espèce. Dans la même journée, Mother fit donc naître la première représentante de cette génération amenée à assurer le repeuplement de la planète : Daughter. Pendant des années, Mother éleva Daughter dans leur cocon technologique confiné en essayant de reproduire les sentiments typiquement humains d'une mère à l'égard de sa fille et, si l'on oubliait sa rigidité robotique trahissant une évidente imitation accompagnée de maladresses, Mother remplissa plutôt bien ce rôle à multiples facettes car Daughter devint une fille modèle. Seulement, à l'adolescence, les murs de leur abri se mirent à paraître trop étroits pour la jeune fille et le seul halo de soleil d'un monde extérieur que Mother disait aujourd'hui hostile pour l'Homme ne pouvait plus la contenter. Quand un indice vint lui indiquer que la vie était finalement peut-être encore présente sur Terre, Daughter décida de passer outre les mises en garde de Mother et s'aventura dans le sas d'entrée de leur bunker. Là-bas, à sa grande surprise, elle découvrit une survivante blessée sur le paillasson d'entrée. Elle décida de la recueillir malgré les risques d'une inoubliable fessée robotique de la part de Mother...


On tremble toujours un peu à l'idée de découvrir une nouvelle production SF qui a échoué sur Netflix en fin de parcours après des ambitions plus grandes. Soyons honnêtes, pour un génial "Annihilation", on se retrouve la plupart du temps avec des dizaines de productions qui, certes, partent souvent d'une belle idée mais donnent toujours de films inaboutis dont on ne sait si on doit garder en mémoire le verre à moitié plein ou à moitié vide qu'ils représentent pour les juger. Premier film australien de Grant Sputore, "I Am Mother" fait hélas partie une fois plus de cette dernière catégorie mais, même si l'impression générale qui en émane reste du même ordre, il a néanmoins des qualités et des défauts différents de la masse habituelle proposée par Netflix.


Déjà, impossible de le nier, par son environnement de huis-clos et son nombre de protagonistes minimaliste, "I Am Mother" réussit plutôt bien à nous embarquer dans l'ambiance d'enfermement de ce lien mère-fille si particulier que le montage d'ouverture sur "Baby Mine" durant l'enfance de Daughter nous magnifie par l'innocence et la pureté qui en ressortent. Formellement, Grant Sputore réussit dès les premiers instants à rendre crédible cet univers à échelle réduite mais fort en émotions, bien aidé par son superbe droïde parfaitement humanisé par la voix de Rose Byrne (le travail de l'actrice à l'égard des nuances de sa personnalité est impressionnant) ou encore la prestation de Clara Rugaard dans le rôle de teen-Daughter, grande révélation du film.


Évidemment, l'arrivée de la troisième protagoniste (Hilary Swank) fait voler en éclats la tranquillité de l'existence entre Mother et Daughter et va remplir tout son office de ressort scénaristique attendu pour éveiller la conscience de la deuxième déjà en plein doute quant aux affirmations péremptoires de la première. Dès lors, le personnage de Daughter ne va cesser d'être ballotter entre celle qu'elle a toujours considérée comme une figure maternelle mais dont l'autorité se craquèle devant une vérité plus trouble qu'il n'y paraît et la nouvelle arrivante, promesse de nouveaux horizons et surtout d'une présence humaine qui manquait désespérément à notre héroïne malgré les efforts de sa Mother métallique.


C'est d'ailleurs à partir de là que "I Am Mother" va révéler toute sa dichotomie qualitative.
D'un côté, une fois le relationnel autour de ces trois personnages installé, le film va multiplier les interrogations autour des motivations des deux représentantes féminines adultes de son intrigue jusqu'à l'overdose. Dans le but de se forger un jugement qui lui est propre, Daughter va ainsi passer d'un camp à un autre pendant un temps paraissant infini et qui va permettre au spectateur de passer mentalement en revue toutes les hypothèses sur les buts poursuivis par ceux-ci. Sur ce point, "I Am Mother" ne fera que décevoir tant tous les twists proposés en guise de réponses auront quasiment tous été envisagés en amont, le film aura beau les multiplier en tirant sur toutes les cordes que lui permettent les rebondissements entre son trio d'héroïnes et son contexte post-apo, rien n'y fera, la surprise ne sera jamais vraiment au rendez-vous et la deuxième partie de "I Am Mother" donnera toujours l'impression d'être un énorme pot-pourri SF dont les révélations éculées ne pourront guère emballer les fidèles du genre, d'autant plus que certaines d'entre elles seront parfois amenées de manière discutable (notamment celles sur le personnage d'Hillary Swank, un détail essentiel trop vite révélé et une réalisation sans grande subtilité autour de ses interactions trahiront assez vite son rôle dans toute cette affaire). On ne pourra que regretter cette espèce de volonté trop prononcée à passer en revue et respecter les standards SF car c'est clairement à ce niveau que "I Am Mother" perd tout ce qui pouvait lui conférer une identité atypique.


Effectivement, d'un autre côté, tous ces ressorts usés sont en réalité des outils pour explorer le cœur de la thématique du long-métrage où les méandres de la relation mère-fille jouent un rôle crucial. Tel un flambeau, les personnages vont se passer le statut de figure maternelle au gré des divers twists pour, bien entendu, forger le caractère de Daughter à travers ses premières confrontations avec des défaillances humaines telles que la peur de la solitude, l'égoïsme ou le mensonge (des défaillances communes à tous). Ainsi, "I Am Mother" a le mérite de très bien porter son titre par la mise en avant de la primauté du lien maternel, ce qui le définit et sa perception dans un plus vaste ensemble que son intrigue se charge de tisser jusque dans son dernier acte. Une fois tous les tenants et aboutissants révélés, on ne pourra que saluer la qualité du film sur ce plan car, en essorant toutes les pistes que son postulat lui permettait, "I Am Mother" aura, a contrario de bon nombre de productions Netflix du même type, été jusqu'au bout de son propos et n'aura jamais abandonné les ambitions de départ en permettant à ses personnages de se dévoiler ou de se construire autour de la thématique principale qui l'animait. Certes, ses rebondissements étaient connus et/ou attendus mais ils n'auront jamais été gratuits dans l'optique de ce que le film voulait nous raconter et c'est sans doute ce dessein cohérent qui aura constitué sa plus belle force.


"I Am Mother" est donc encore une de ces petites séries B de SF proposées par Netflix dont on ne parvient à se satisfaire pleinement mais, cette fois, on ne peut pas vraiment reprocher à ce premier film sa proposition de contenu, celle-ci profitant à chaque fois de toutes ses opportunités scénaristiques pour mettre son discours en exergue. Non, c'est plutôt hélas sur sa manière d'agencer son déroulement autour qui pose un réel problème avec l'accumulation de poncifs SF utilisés. Au-delà de la forme plus susceptible de faire l'unanimité et plutôt prometteuse pour un premier long (le film tient on ne peut plus la route en termes de mise en scène et ces trois interprètes ne failliront jamais), "I Am Mother" est finalement déchiré entre la pertinence de ce qu'il veut raconter et son langage scénaristique bien plus banal pour le faire, cette irréconciliabilité le conduit de fait à un statut d'oeuvre mineure qu'il ne méritait sans doute pas.

RedArrow
6
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le 10 juin 2019

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RedArrow

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