Il faut plus que du noir et blanc pour faire du néoréalisme

Je vais essayer de rassembler de manière quelque peu cohérente les réflexions que m'ont inspiré ce film.


L'impression qui domine est celle d'un film qui ne maîtrise pas ce que j'appelle ses "registres". Le premier plan (une gifle) annonce un programme lourd, basé sur la dénonciation, c'est le "polémique" : le sujet de la violence faite aux femmes est grave et nécessite un certain "sérieux" dans son traitement. La scène d'introduction fait pourtant place à une certaine outrance du sujet qui prête à sourire. La vulgarité exagérée des 2 garçons est toute "comique". La première fois que Delia se fait battre par son mari, le registre est plutôt "symbolique". Ce registre exploité dans cette unique occasion apparaît à la fin du film comme incongru. La scène du repas de fiançailles exploite une tension "dramatique" entre les différentes classes sociales qui s'affrontent. On oscille principalement entre le comique et le polémique. La scène de la barre de chocolat et du garagiste est grossièrement comique. Mais le reste du scénario n'embrasse que timidement ce potentiel. Je me suis souvent demander si les situations étaient exagérés pour en dénoncer la malfaisance ou pour faire rire. En somme, je considère que l'écriture du film est trop dispersée et manque de cohérence globale.

Ce qui m'a questionné dans un second temps ce sont les incohérences précises du scénario. Le sujet des personnes, hommes ou femmes, qui restent dans une relation d'abus avec un partenaire, homme ou femme, violent est difficile à appréhender d'un point de vue extérieur. La psychologie de comptoir a popularisé la notion d' "emprise" mais la pensée complexe nous fait comprendre qu'une telle situation est plurifactorielle. Développer un tel sujet pourrait faire l'objet d'un film entier. Ici, on invite le spectateur à accepter comme allant de soi la situation. Pourtant, cette femme semble avoir de nombreuses ressources et un entourage étayant, qui pourrait lui permettre de s'en sortir. Son mari n'a aucune attitude positive qui pourrait le présenter sous un jour plus nuancé ; il est absolument néfaste. Tous les adultes qui sont au courant de la situation semblent bien muets devant une situation évidente. Bref, j'ai eu du mal à accepter que cette situation perdure telle qu'elle est présentée dans le film.

Beaucoup de temps en effet est consacré à dénoncer la condition féminine des italiennes au sortir de la seconde guerre mondiale, cela avec des gros sabots pour que le message rentre bien au cas où le spectateur aurait eu des doutes.

La fin du film essaie dans sa partie finale de subvertir nos attentes : nous sommes convaincus qu'elle va fuir son domicile... et non, elle a fait tous ses préparatifs pour aller voter. Soit. Mais la scène finale laisse entendre que tout est résolu grâce au droit de vote des femmes.

Cependant je me permets de rétorquer l'inverse : rien n'est résolu. Son mari va continuer de la battre parce que c'est de cette manière qu'il s'exprime, sa fille ne va pas aller à l'école car elle est un gagne-pain pour son père. La scène finale devrait être une ouverture pas une conclusion.


Je finirai cette critique en abordant les aspects esthétiques du film : le choix du noir et blanc pour l'étalonnage semble ici être bien plus justifié par le désir de mimer de façon maladroite les films néoréalistes des décennies d'après-guerre que par un réel parti-pris esthétique exploité à sa juste valeur, et à titre d'illustration, il n'y a très peu de contraste entre les noirs et blancs.


En conclusion, je dirai que C'e ancora domani est un film qui doit principalement son succès au contexte de dénonciation des violences conjugales, actuellement très présent dans l'opinion publique, mais qui manque cruellement de rigueur dans son exécution ; il en résulte un défaut d'impact émotionnel auprès de ses spectateurs.

Quentin_Pilette
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le 16 avr. 2024

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