Le Hong-Kong des années 60 : une ville surpeuplée écartelée entre la modernité des grands immeubles et l'archaïsme des traditions. La chaleur du cercle familial des uns renvoie à l'anonymat tous ceux qui sont seuls. Wong Kar-Wai avec beaucoup de subtilité se penche sur les tentatives de deux solitaires qui le sont devenus par la force des choses pour établir une relation dans un monde indifférent voire hostile.
La trame du film repose sur la sensualité des deux personnages principaux qui sont submergés par le désir. Mais ils se heurtent au poids des convenances dans le Hong-Kong des années 60.
Pour maintenir l'ordre social et familial et faire face à la promiscuité due à l'installation de vagues de migrants fuyant la Chine de Mao, la morale à Hong-Kong se fait omniprésente et pesante. Les voisins connaissent tous les secrets des uns et des autres et ne se privent pas de faire leurs commentaires. Les amants doivent se cacher ou refouler leurs sentiments. M. Chow (Tony Leung) et Mme Su (Maggie Cheung) choisissent la seconde option par volonté de ne ressembler en rien à leur femme et mari respectifs qui les trompent en cachette.
Les deux acteurs sont tout simplement admirables de classe et de sensibilité et éblouissants de beauté, ceci afin de transcender la morne banalité de l' histoire et du décor. Car il ne se passe pas grand-chose et c’est cette absence d’action qui permet à Wong Kar Wei d’abandonner sa virtuosité et ses expérimentations habituelles pour se concentrer uniquement sur l’histoire et sur une ambiance mélancolique et intimiste. On aurait aimé que WKW poursuive dans cette voie. Il semble que ce ne soit pas le cas...Why ?
Au milieu d'une foule venant en majorité de la campagne, la seule façon de se différencier passe par la nourriture et les vêtements. Les deux protagonistes vont donc au restaurant de cuisine internationale. M. Chow s'habille d'une façon impeccable. Mme Su porte le qipao rouge traditionnel en soie qui lui donne un port de reine.
Porté par la sublime valse Yumeji's Theme de Shigeru Umebayashi le film s'évertue à suggérer les non-dits vus à travers le filtre de la délicatesse des sentiments.
Le refoulement des sentiments qui est la règle du jeu choisie au départ ainsi que le poids écrasant du travail (que l'on devine en filigrane) vouent la romance à un échec temporaire et la relation se résume en une belle histoire d'amour impossible. Et Mme Su est renvoyée à l’humiliante condition, à cette époque, de l'épouse délaissée.
Hong-Kong est le troisième personnage important. Wong Kar-Wai filme avec beaucoup de nuances sa nostalgie du Hong-Kong disparu des années 60. Il réussit le tour de force de nous émouvoir avec une histoire intemporelle qui porte la marque des grands classiques.