Alors que la plupart des fantaisies de Quentin Dupieux s’annoncent dès leur pitch et leur bande-annonce, Incroyable mais vrai joue du mystère : l’incroyable en question est une promesse excitante qu’il serait effectivement dommage de révéler, un procédé sur lequel le réalisateur scénariste va fonder sa dramaturgie. Son sens de l’absurde fait donc un nouveau pas de côté dans la mesure où l’acceptation de l’irrationnel se veut plus progressive, et, surtout, va se révéler à géométrie variable en fonction des protagonistes : si l’un prend à bras le corps l’opportunité offerte, l’autre oppose une résistance qui passe d’abord pour une forme de paresse et s’avérera finalement plus avisée.


Le sens du comique de Dupieux est ainsi à géométrie variable, en fonction du sujet qu’il investit : l’étrangeté, dans ce nouveau récit, passe par un traitement contrasté entre fond et forme. Le récit, d’une certaine manière, poursuit l’exploration de la bêtise humaine déjà évoquée dans Mandibules : le quatuor formé par les excellents Chabat, Drucker, Magimel et Demoustier fait état d’une humanité un brin beauf, et s’engouffrant dans les obsessions vaines que sont l’apparence par la volonté de ne pas vieillir ou de se greffer un sexe électronique. Sur ce registre, le rythme accuse quelques essoufflements et développements annexes qui peuvent passer pour du remplissage – ce qui, dans un film de 1h14, peut tout de même questionner.


Mais c’est surtout sur la forme que le réalisateur (scénariste, monteur et directeur de la photo) s’amuse ; on connaît son goût pour l’image surexposée et laiteuse, qu’il pousse ici dans ses retranchements par un usage de focales longues presque abusif : de très larges zones de l’image, surtout au début, sont ainsi dans le flou, isolant des personnages qui ne semblent pas appartenir à l’espace qu’ils occupent. La même confusion règne sur la direction artistique, qui semble au départ situer l’intrigue dans les années 80 (la voiture, le téléphone fixe, l’écran d’ordinateur, la déco et les architectures…) avant qu’on ne vienne le contredire. Le montage, quant à lui, déconstruit à sa manière la temporalité, par une série de séquences alternées en flash-forward qui achève de déconcerter dans l’exposition de l’intrigue. Autant d’éléments qui viennent poser, avant que l’on ne le verbalise explicitement, les enjeux d’un récit d’abord présenté comme une comédie un peu étrange (en témoigne cette musique qui revisite dans des textures electro cheap des motifs classiques), mais qui va progressivement se nourrir du malaise et de la confusion induite par ces effets.


Ce discret point de bascule explique quelques directions plus intéressantes sur la dernière partie du film, où un très long sommaire – encore une exploration temporelle - va propulser l’histoire vers des domaines plus grinçants : priver les personnages de la parole permet, en un sens, de les démasquer pour atteindre une certaine gravité. La nouvelle tonalité de l’absurde proposé, qui convoque explicitement le Buñuel du Chien andalou, cherche à sonder sous la surface et s’interroger discrètement sur la fragilité humaine : un principe que Dupieux déploiera encore davantage dans Fumer fait tousser.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 15 juin 2022

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