"Si t'entres ici, cousin, tu vas pisser ta mère!" ou Quand Hollywood s'en mêle ...

Inferno,
4e opus littéraire de la série Robert Langdon,
3e volet cinématographique de la saga Robert Langdon.
Je ne me bornerai qu'à des commentaires épars pour expliquer ma note de 6 coeur.


Pourquoi une note si basse pour un film aux visuels si réussis, au tempo prenant et au suspens haletant?


Je ne le cacherai pas: j'aime beaucoup les films de Ron Howard et en particulier - pauvre de moi - Da Vinci code.
Ce premier volet m'avait énormément enthousiasmé par son ambiance d'occulte et de chasse au trésor.
Le second, Ange et démons, m'a fait l'effet d'un 24 heures chrono ... avec Robert Langdon.
Le troisième, Inferno, m'a plu pour ses visuels et son adaptation a priori fidèle de l'histoire.


Mais hélas, si j'apprécie les films et considère qu'ils peuvent charmer ceux qui n'ont pas lu les livres, je me dois de noter le grave symptôme post-Da Vinci code.
Quel est-il?
Un sacrifice du jeu de piste et de l'immersion dans le mystère l'art et la science de la sémiologie, omniprésente dans les livres et le premier film, au profit d'une action plaisante mais hors de propos.
Inferno, qui est clairement beau, non seulement souffre de ce même symptôme mais va beaucoup trop loin.


Des personnages sacrifiés gratuitement aux canons hollywoodiens


Le problème moindre mais hélas trop présent à l'écran, c'est celui des personnages revus et corrigés au diapason des attentes du box-office et des cahiers des charges hollywodiens.


Un personnage, par exemple, est annihilé: un pseudo-infirmier peu scrupuleux, traître au consortium qui l'engage pour lancer Langdon sur le jeu de piste, et qui se promène dans Florence avec un problème de peau qu'on pense être un symptôme de la peste. Infection inquiétante qui s'avérera en réalité une réaction de l'épiderme à son déguisement en début de récit.
Annihilé, il l'est puisque deux autres personnages vont fusionner avec lui pour s'emparer de ce qui le caractérise.
Robert Langdon lui-même est le premier de ces vampires puisque c'est lui qui semblera être atteint de la peste,souffrant en réalité d'urticaire.


Le second parasite, c'est Christoph Bouchard.
Ne cherchez pas: ce personnage n'existe pas dans le livre.
Il s'agit en réalité d'un hybride hideux de l'infirmier et de l'agent Brüder, qui travaille pour l'OMS.
Brüder devient donc un traître à l'OMS comme l'infirmier l'était vis-à-vis du Consortium et est joué par Omar Sy ( Jurassic World, X-Men: Day of futur past) pour une double raison de quota et d'allusion au personnage de Jean Reno dans le Da Vinci code.
Le ridicule ne tue pas, certes, mais énerve suffisamment pour que cette critique dénonce l'escroquerie, qui au passage sert à remplacer un personnage important par un figurant, moins cher à financer.


Si l'on s'attache aux personnages des femmes, on se rendra compte que le film sacrifie aux représentations topiques du féminin dans le blockbuster.
Elisabeth Sinskey, directrice de l'OMS, est une femme bien plus âgée dans le livre :son âge force le respect ; elle rajeunit, rejoint l'âge de Langdon dans le film pour se poser en love interest du héros et remplacer en cela Sienna Brooks sur la fin du film.
Sienna Brooks, au demeurant impeccablement interprétée par Félicity Jones (Dr Who, Rogue one) souffre en effet elle aussi des canons d'Hollywood. Pour en faire une génie, on la transforme en Sophie Neveu maléfique qui s'applique à des jeux de piste. Quand le roman en fait un personnage dont l'excroissance du cerveau détruit sa féminité: Sienna porte une perruque, son corps étant incapable de générer des cheveux. C'est donc un personnage transformé physiquement par son génie dans le livre qui se borne à un beau petit brin de femme à la jugeote rapide dans le film. Film qui ne la fait pas évoluer intellectuellement comme le fait le roman: là où naîtra une relation amoureuse entre Sienna et Robert dans le livre,


relation due à une jeune femme en totale introspection, tiraillée entre les idées de son défunt mentor et celles du professeur humaniste, le film se contentera d'un twist prévisible sans changement de trajectoire idéologique. De ce fait, crime ô combien odieux!, le film tue une Sienna qui pourtant quitte Langdon à l'aéroport, en larmes, dans une scène qui rappelle le Il suffirait de presque rien de Reggiani.


Ce dernier choix met en exergue le gros défaut du film: il regorge d'action car il manque de passion artistique et de coeur.


Où est Dante?


On se le demande bien !


Alors, oui, on nous montre bien le masque mortuaire de l'auteur de La Divine Comédie. Il constitue même l'image finale du film. Oui, Ignacio laisse toujours un indice dans un passage du Paradis. Oui, le film a su jouer visuellement sur l'exposition et le pastiche réel du tableau de Botticelli.
Mais où se trouve la comparaison lieu pour lieu entre Florence et l'Enfer? Nulle part: il eût fallu laisser plus de place au jeu de piste pour recréer ce parallèle très juste du livre. Où est l'ambiance dantesque dans ce film qui a repris - à juste titre mais en trop grande proportion - une ambiance plus bondienne ?
On entend à outrance "cherche et trouve", jamais l'incontournable "Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir".
On eût pu l'espérer dans le personnage de Zobrist (veuillez prononcer le z "ts" à l'allemande!), bon dans l'ensemble. Ben Foster (Warcraft) n'est pas à blâmer. Au contraire! Mais le Zobrist qu'on lui a écrit n'est qu'un agitateur qui prend l'Enfer pour modus operandi quand le personnage du roman se confond avec Dante lui-même, pastichant le style de l'auteur jusque dans ses discours. Le génie maléfique possédé par Dante devient un simple terroriste, un savant un peu dérangé bien qu'un chouya génial. C'est dommage et c'est dans la fin choisie par cette adaptation que l'on peut trouver l'explication de ce quack.


La Fin justifie les moyens


Le plus gros défaut du film réside dans la fin apportée à l'histoire.
Une fin bien hollywoodienne avec son joyeux et niais happy-end.
Je ne suis pas contre les happy-end. Je suis contre les happy-end porteurs de messages autres que ceux des livres adaptés.
Car du choix fait pour la fin du film découle les pâles figures de


Sienna et Zobrist.


Le roman s'achève ainsi:


Sienna veut laisser s'écouler le virus puis rejoint la position idéologique de Langdon. Mais lorsqu'ils arrivent, il est trop tard: cela fait une semaine que le virus s'est écoulé. Zobrist a roulé tout le monde mais a aussi sauvé tout le monde.


Le film s'achève ainsi:


Sienna et plusieurs complices tentent de poser des bombes pour libérer le virus. Elle meurt en faisant sauter une de ses bombes. Ses complices cherchent à libérer le virus mais Langdon et Elisabteh enferme la substance dans un coffre imperméable. Langdon a sauvé le monde du vilain agitateur qui voulait tuer plein de gens.


A comparer les deux versions, on observe que la fin du film ne rend pas justice aux "méchants" qui agissent bien stupidement pour des génies.
Le plus triste est que leur statut se limite à celui de méchants terroristes dont l'ambition est de relancer la peste, ce qui les rend plus limités que le pseudo tueur de Pars vite et reviens tard de Fred Vargas ! Le film ne les présentera jamais comme les héros controversés qu'ils sont dans le roman.
Jamais le film ne prononce le mot "trans-humaniste", il lui préfère le terme banal "terroriste". En cela, il souffre de la comparaison avec le pourtant piteux Grimsby, qui, lui, a osé traiter du trans-humanisme.


Le roman oppose en effet de façon très intéressante Zobrist, le trans-humaniste et Langdon, l'humaniste.
Lequel des deux a raison? Le débat peut s'ouvrir.
Dan Brown, toujours aussi sulfureux, donne l'avantage au trans-humaniste. Il en fait un héros caché qui l'emporte à la fin et réduit les humanistes au statut de coupables qui s'ignoraient et qui restent impuissants devant son triomphe.
La dirigeante de l'OMS ne s'appelle-t-elle pas justement Sinskey, autrement dit "sin" 's "key", la clef du péché? Ce retournement des valeurs in fine, voilà le véritable twist du livre, totalement absent d'un film très (trop?) conventionnel, écrit pour les masses et pour ne pas froisser les bien-pensants.


Le dilemme qui s'opposait alors à Ron Howard, réalisateur des deux premiers Robert Landon, était le suivant: assumer un cri d'amour à la cause trans-humaniste ou rester dans le congru, le politiquement correct et acceptable.
Il a fait le mauvais choix pour contourner la censure, me dira-t-on?
Je noterai que ce n'est pas ce qui l'étouffait lorsqu'il a adapté le non moins sulfureux message du Da Vinci code, qui met sens dessus dessous toutes les croyances chrétiennes à commencer par la sacro-sainte Trinité.
Y a-t-il moins de réserve à avoir sur le fait religieux que sur un questionnement politico-philosophique? Voilà qui me semblerait bien vain....


Mettons-nous bien d'accord: pour qui n'a pas lu le livre, Inferno est une suite correct des deux précédents films, même légèrement supérieure à mon goût à Anges et démons.
Il mériterait bien un 7.
MAIS
Je ne peux , ayant déguster le génie sulfureux du roman, accepter ce pusillanime sous-Da Vinci code qui me déçoit d'un Ron Howard pourtant si courageux par le passé.
Je ne mettrai donc, par principe, qu'un 6 coeur.

Frenhofer
6
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le 2 mai 2017

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Frenhofer

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