La mère d'Insiang, Torya, vend du poisson sur le marché de Manille et peine à joindre les deux bouts depuis que le père les a abandonnés. Elle saisit un prétexte pour mettre dehors ses neveux qui sont au chômage. En réalité, elle est tombée sous le charme de Dado, le caïd du quartier qui travaille aux abattoirs de cochons et qui s'installe à demeure. Mais Dado ne s'est mis avec la mère que pour se rapprocher de la fille...
Insiang sort avec Bebot, un mécanicien qui craint Dado et esquive toute velléité de mariage. Un soir Dado surprend Bebot à la porte : le lendemain il le menace de mort s'il le revoit. Bebot se dégonfle, et Dado profite d'un soir pour violer Insiang. Celle-ci le dénonce à sa mère, mais lui prétend qu'elle l'a aguichée. Les bruits courent dans le quartier. Insiang se donne à Bebot en espérant qu'il aura le courage de donner une leçon à Dado, mais il fuit au matin après leur nuit d'amour. Désespérée, sans appui, Insiang cède aux avances de Dado, qui la retrouve dans son lit après avoir saôulé la mère. Le coeur d'Insiang s'assombrit : elle demande à Dado de casser la figure à Bebot pour le punir de l'affront qu'il lui a fait. Puis, alors que Torya a des soupçons sur les assiduités de Dado sur sa fille, Insiang lui avoue en empilant mensonge sur mensonge. De rage, Torya poignarde Dado, sous le sourire vengeur d'Insiang. Celle-ci va voir sa mère en prison, lui avoue sa manipulation. Lorsque sa mère lui demande si elle est contente de s'être vengée, celle-ci répond : non.
Un drame social qui cherche au maximum à s'ancrer dans la réalité des bidonvilles de Manille : la promiscuité incessante, les bruits de rue, le robinet unique d'eau qu'on fait couler dans un bidon pour couvrir le bruit des ébats, les besoins qu'on fait dans un pot au milieu de tout le monde, le poêle à bois, les tentures en plastiques/filet de pêche, le linge qu'on pend aux clôtures de fil de fer, les chômeurs qui picolent gentiment (la plupart du temps) devant l'éventaire de l'épicière, les jeunes filles qui rêvent de radio-crochet, les gamins nus, les cartons que l'on porte sur la tête, les ruelles étroites mal éclairées : tout cela rappelle un peu le cinéma social japonais d'après-guerre, à la Chien enragé.
Le regard porté sur la masculinité dans la société philippine est sans concession : mention spéciale à l'écolière qui sort en pleurant d'une chambre d'hôtel de passe accompagné d'un monsieur à l'air gentil. Bon, c'est vrai que le scénario pourrait rappeler I spit on your grave, mais en plus trouble.
En effet la charge sociale a le bon goût de ne pas se cantonner dans le misérabilisme pour suivre une intrigue que j'ai trouvé joliment troussée (même si ce n'était visiblement pas le cas de tous mes conspectateurs). Il faut dire que le film a été restauré dans les laboratoires de Bologne, mais que des problèmes de sonorisation ont persisté, du coup il arrive que d'une scène à l'autre la musique (un thème à la flûte dépouillé mais efficace) saute brusquement. Est-ce que l'équipe d'origine n'avait pas de table de mixage, ou est-ce que la restauration a atteint ses limites ? Difficile à dire, mais cela n'impacte pas la narration, cela donne juste un aspect un peu mal dégrossi.
Et pourtant au niveau formel, tout le reste est fort bon. C'est simple, mis à part les vêtements et les coupes seventies, le montage, par son élégance qui n'exclue pas une vision sans concession, me rappelle pas mal Mizoguchi. Il y a un vrai travail sur les cadres, sur l'espace des intérieurs, sur la profondeur de champ des rues, et les visages sont souvent filmés en plan rapproché pour leur donner toute leur expressivité. L'évolution du visage d'Insiang, de ses yeux de biche effarouchée à son visage impassible, en réalité consumé par la haine, est très réussie, à l'image de toute la direction d'acteurs d'ailleurs. Un travail formel rigoureux s'allie à une histoire populaire : j'applaudis des deux mains.
Insiang est un drame social philippin formellement élégant, au message dur et pessimiste : la misère engendre la corruption morale. Je le recommande.