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Ma critique ne contient pas de spoilers majeurs. Cependant, si vous n’avez pas vu le film, je vous recommande fortement de ne lire la critique qu’après votre séance ; votre expérience sera d’autant plus immersive, la tonalité de certains passages étant plus ou moins dévoilée.

En une seule image – sublime -, Nolan aura tout contextualisé : des fusées spatiales miniatures sont ensevelies par un flot ininterrompu de poussière, allégorie d’une planète totalement abandonnée depuis des décennies par l’espèce humaine. Épidémie ? Pollution ? Catastrophe industrielle ? Nous ne saurons rien des causes de cet état, mais l’homme n’y est, semble-t-il, pas innocent.

L’introduction est somptueuse. Malgré les apocalyptiques tempêtes de sable que livre désormais la Terre, on s’y sent comme en sécurité, offrant un sentiment de chaleur avant le grand (l’immense) saut vers l’inconnu. Un space cowboy regarde vers le ciel et son désormais célèbre accent texan chuchote l’indubitable constat : « Autrefois, on regardait vers le ciel et on s’interrogeait sur notre place dans les étoiles. Maintenant, on regarde seulement par terre et on s’inquiète de notre place dans la poussière« . Le bonhomme n’est pas totalement pessimiste pour autant : sa folle course après un drone de surveillance aérien évoque son aspiration déchue (voyage et adrénaline) de pilote. L’air de rien, Hans Zimmer (le compositeur) s’immisce en plein cœur de la scène et donne le ton : à cet instant, il est l’interprète principal d’Interstellar.

Il faut alors l’arrivée du toujours gracieux Michael Caine pour lancer pleinement le voyage tant attendu : la solution se trouve là-haut, dans les étoiles. Et il faut s’y rendre.

Démarre sur les chapeaux de roues l’odyssée spatiale et soyons clair : c’est du jamais-vu. La démonstration technique de Nolan est si aboutie qu’il est impossible de déceler l’effet ; et c’est justement cela (avec les splendides compositions de Zimmer) qui participe en premier lieu à l’immersion quasi-totale éprouvée, même en numérique et sans le format IMAX (il est conseillé de le voir ainsi). Le trip spatial est chauffé à blanc, les images spatiales sont superbes (c’est peu dire) et des scènes entières sont particulièrement vertigineuses : d’abord celle – absolument intense – sur la planète « océan », où un seul plan sur une gigantesque vague suffit à donner l’ampleur de la palpitation éprouvée ; puis celle sur l’autre planète « glacée », au cours de laquelle une photographie magnifique rend pleinement service à la réalisation de Nolan. Cette réalisation puise d’ailleurs son inspiration dans de nombreuses sources, très variées. Celle de Kubrick est la plus évidente, avec des séquences contemplatives et musicales qui rappellent clairement d’autres de 2001, l’Odyssée de l’espace mais on pourrait aussi citer (d’ailleurs il le fait lui-même) les Star Wars de George Lucas voire même des origines extra-cinématographiques, avec des éléments clairement bibliques : l’image de la vague et une réplique du Professeur Brand (« N’entre pas docilement dans cette douce nuit. Le vieil âge doit gronder, tempêter au déclin du jour. Hurler, hurler contre la mort de la lumière« ) notamment.

Dans ces conditions, le fait d’amener ici ou là des touches d’humour (le robot TARS prenant totalement à revers le cliché de l’automate destructeur de l’homme) tout en conservant un rythme dantesque tient du tour de force. Tour de force que l’on ne peut que saluer.

Au cours de l’épopée spatiale, il est question de gravité, d’espace-temps, de relativité, de trou noir ou encore de trou de ver. Comprendre et maîtriser précisément toutes ces notions scientifiques est impossible, voire inutile puisque tout a été élaboré en collaboration avec Kip Thorne (physicien théoricien américain, considéré comme l’un des plus grands experts dans les applications de la théorie de la relativité générale d’Einstein selon Wikipédia), tout découle donc peu ou prou du scientifiquement correct. Ici, tous ces éléments ont une représentation (l’espace-temps, notion abstraite, trouve une enfin une matérialisation digne de ce nom) et pour tout fan de science-fiction, la fascination relève du miracle. Les rebondissement s’enchaînent (à chaud, c’est vraisemblablement le scénario le plus dense des frères Nolan) mais n’en disons pas plus (en fait on en a déjà trop dit) à ce sujet ; il serait criminel de révéler ne serait-ce qu’une once des multiples coups de théâtre, tous plus inattendus les uns que les autres – assurément en passe de devenir cultes.

Interstellar est de la même verve que Gravity et 2001, de par son mariage parfait entre sa beauté visuelle et ses questionnements humains : ici le rapport très organique entre le grand (l’espace) et le petit (la Terre), le proche (la famille) et le lointain (l’humanité toute entière), entre le temps et l’espace et cet habile montage parallèle entre les deux arènes, témoins et acteurs de cette folle course à la survie. Associées parfaitement au reste, surgissent alors des envolées émotionnelles comme on en ressent rarement au cinéma.

Car sous le film de SF bien visible, Interstellar recèle tous les aspects du drame familial. L’adieu d’un père à sa fille. La voilà la véritable histoire. De là à en déduire que l’exploration interstellaire passe au second plan, il n’y a qu’un pas que nous n’oserons pas franchir ici ; tout de même, il y a des signes qui ne trompent pas : les deux moments charnières du récit (l’intro et l’outro) explorent la relation père-fille à travers de brillantes séquences, tout en ambiguïté et en déchirements. Or, Nolan suggère – au travers de cet amour – une formidable ode à l’humanité – qu’il veut croire surpuissante -, offrant ainsi un degré de lecture supplémentaire au spectateur, déjà empli de réflexions et de pensées. En cela, le film est clairement le plus humaniste de ceux de son réalisateur, et celui qui touchera le plus largement. Et ce malgré l’élaboration de théories métaphysiques a priori personnelles (la métaphysique a toujours évoqué le personnel) preuve irrévocable qu’elles sont viscéralement, – et philosophiquement – humaines.

Beaucoup de philosophie donc, y compris sur la fascination du temps qui passe. Ce rapport au temporel est particulièrement prenant lorsque – le temps d’une séquence mémorable – Cooper découvre vingt-trois années de messages de ses enfants et les voit grandir en un éclair (plan frontal sur Matthew McConaughey en larmes) : à cet instant, on est littéralement bouleversé, irrémissiblement persuadé que l’amour va gagner. La scène (d’inspiration Kubrickienne mais au traitement tout à fait différent, beaucoup plus frissonnant) marque, hante et atteste – s’il fallait encore le démontrer à quelqu’un – l’immense talent de l’acteur oscarisé, au même titre que tout le casting. Anne Hathaway y est étincelante, les deux Murphy, Mackenzie Foy (étonnamment convaincante à son âge) et Jessica Chastain (tout superlatif serait un euphémisme) plus belles que jamais.

Puis, tout d’un coup et alors que l’on voyait clairement le schéma narratif se dessiner (direction la troisième planète), tout bascule. En un instant (et un caméo), rien ne se passe plus comme prévu. Moment de suspension. Jumpscare. Sacrifice. Et enfin, le twist – imprévisible au possible.

C’est donc ainsi que Nolan aura choisi de répondre à ses détracteurs : en exacerbant l’objet de leurs critiques (la grandiloquence). Facile ? Peut-être bien. Et alors ? Réaliste, un film comme celui-là, vraiment ? Possible, potentiel, ses films l’ont toujours été. Le réalisme n’était qu’une façade, depuis toujours. Nous ne révélerons rien de la fin elle-même, constatons simplement qu’elle allie en fait toutes les caractéristiques du cinéma Nolanien (c’est précisément pour cela qu’il va diviser) : la temporalité inversée de Memento, la magie de Le Prestige, la terreur psychédélique de The Dark Knight, les dimensions d’Inception… Une chose est sûre : elle résume parfaitement la tonalité du film ; à la fois humble et pompeux, personnel et universel, intime et grandiose.

On sort d’Interstellar les yeux embués, la gorge nouée, des rêves plein la tête et des étoiles plein les yeux, convaincu que si l’amour est bien la seule chose qui transcende le temps et l’espace, de battre notre cœur ne s’arrêtera plus jamais.

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le 31 oct. 2014

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critikapab

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