L’action se déroule dans un campus universitaire et dans un hôpital. On apprend qu’un accident de train a eu lieu non loin de là car le conducteur se serait mystérieusement endormi sur ses commandes. Certains étudiants tentent de s’informer, de savoir qui a pu être blessé ou périr dans l’accident, mais la plupart sont occupés par les affres du quotidien : l’une prépare un exposé sur les légendes urbaines, trois amis s’entraînent pour une chorégraphie en vue d’une chanson de mariage, un couple se dispute car l’homme a mis une autre femme enceinte et celle-ci réclame une pension alimentaire, une mère cherche son fils, un repris de justice sorti de prison cherche sa sœur médecin, celle-ci cherche à l’éviter, deux hommes blessés cherchent l’hôpital, une jeune malade cherche à voir la mer. On se cherche beaucoup dans ce film. Et on fuit également, on fuit bien sûr ce mal étrange qui fait tomber les gens comme des mouches, ce mal dont on ne sait pas s’il tient du virus ou d’une simple fatigue de vivre, mais on fuit surtout la solitude. Ce n’est pas une fuite panique, c’est une fuite tranquille, incertaine, entrecoupée de pauses et d’hésitations, une fuite qui nous fait passer sans cesse de la gravité à la frivolité, la mort (ou l’anéantissement) n’étant pas au fond ce qui terrifie les personnages. En effet, dans une société japonaise contemporaine très atomisée, on comprend au fur et à mesure que ce qui effraie les personnages n’est pas tant de mourir que de mourir seul.

En adaptant au cinéma une pièce de théâtre plutôt sobre et taciturne, le réalisateur a préféré prendre le contrepied de l’original en présentant un film très bavard, débordant de dialogues – dialogues excellents qui sont à mon sens une des premières qualités du film. Mais ce bavardage est à l’image du silence de la pièce originale : il ne dit rien, il tourne à vide. On nous parle du brouhaha d’une société dense où les gens se côtoient et se saoulent de paroles sans réellement communiquer quoi que ce soit. Le réalisateur a dit avoir voulu faire une variation sur "L’Ange Exterminateur", le chef-d’œuvre de Luis Bunuel. Par ailleurs, le spectateur européen ne pourra s’empêcher, devant ce film, de penser à des auteurs comme Beckett ou Ionesco, notamment pour tout ce qui touche aux dialogues et aux interactions entre les personnages. « Nous dansions et ils sont morts » explique une jeune fille à un inconnu alors que ses deux amis se sont subitement évanouis. « Pourquoi dansiez-vous ? » demande l’inconnu. « Parfois, il faut danser » répond simplement la jeune fille.

Dr Fish : « Au moment où je mourrai, mon dernier mot parlera des poissons. »
Maki Endo : « Vous aimez les poissons ? »
Dr Fish : « Oui. »
Maki Endo : « A manger ? »
Dr Fish : « Oui, notamment, mais aussi en tant qu’amis. Les poissons n’ont pas de paupières, donc ils meurent les yeux ouverts. »

Un film où on se croise, où chacun fait un bout de chemin avec les autres sans vraiment rentrer en contact, où on débat sur ce qu’on voudrait dire à l’occasion de ses derniers mots, où tout le monde dit connaître les autres « vaguement ». Toute fusion réelle est absente, seul demeure toujours l’individu, ce que l’image exprime bien en présentant parfois un écran divisé, le même plan apparaissant scindé en plusieurs parties, comme si les personnages appartenaient chacun à un compartiment différent. Finissant sur l’image troublante d’oiseaux frappés par la mort en plein ciel et tombant à pic, ce film est assurément une oeuvre à part et je le recommande chaleureusement à tous.
David_L_Epée
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 17 mai 2014

Critique lue 310 fois

3 j'aime

1 commentaire

David_L_Epée

Écrit par

Critique lue 310 fois

3
1

Du même critique

La Chambre interdite
David_L_Epée
9

Du film rêvé au rêve filmé

Dans un récent ouvrage (Les théories du cinéma depuis 1945, Armand Colin, 2015), Francesco Casetti expliquait qu’un film, en soi, était une création très proche d’un rêve : même caractère visuel,...

le 20 oct. 2015

32 j'aime

Les Filles au Moyen Âge
David_L_Epée
8

Au temps des saintes, des princesses et des sorcières

Le deuxième long métrage d’Hubert Viel apparaît à la croisée de tant de chemins différents qu’il en devient tout bonnement inclassable. Et pourtant, la richesse et l’éclectisme des influences...

le 6 janv. 2016

20 j'aime

1

I Am Not a Witch
David_L_Epée
6

La petite sorcière embobinée

Il est difficile pour un Occidental de réaliser un film critique sur les structures traditionnelles des sociétés africaines sans qu’on le soupçonne aussitôt de velléités néocolonialistes. Aussi, la...

le 24 août 2017

14 j'aime