Histoire de fantôme méditerranéen

Deux ans après une première sélection à la programmation ACID du Festival de Cannes avec New Territories, Fabianny DESCHAMPS marque son retour sur les écrans cannois avec Isola, son second long-métrage, sélectionné à son tour par l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion. Après avoir exploré les Nouveaux Territoires hongkongais, l'ancienne chef-costumière française se rend sur les côtes méditerranéennes, au large d'une petite île italienne.


Alors que l'île voit arriver quotidiennement des centaines de migrants, Daï, une jeune chinoise enceinte vivant clandestinement sur le territoire italien est à la recherche de son mari parmi les nouveaux arrivants. Un soir, alors qu'un tremblement de terre secoue l'île, Hicham, un jeune migrant, échoue sur une plage à proximité de l'habitation de Daï. De son côté, la jeune fille pense avoir retrouvé celui qu'elle attend.


Dans le prolongement de son premier long-métrage, Fabianny DESCHAMPS continue de questionner les rapports que les différentes cultures peuvent entretenir entre-elles. Au-delà de cette thématique, Isola est marqué par un onirisme cauchemardesque prenant appuie sur les figures fantomatiques incarnées par ses personnages, véritable leitmotiv pour la réalisatrice. C'est en refaisant appel à la même équipe pour ce second film, que Fabianny DESCHAMPS confirme une atmosphère qui la caractérise. On peut notamment remarquer le retour d'Olaf HÜND à la musique, ainsi que Yilin YANG dans le rôle de Daï.


Autre point de ressemblance avec New Territories, – qui constitue un des éléments les plus intéressants du cinéma de Fabianny DESCHAMPS – une partie considérable du film a été réalisée dans des conditions de tournages « guérillas ». Après avoir défié les autorités chinoises, ce sont ces images capturées sans autorisation dans les zones de débarquement de migrants qui vont alimenter de saisissantes séquences, bien éloignées des images froides que proposent habituellement les journaux télévisés. De plus, c'est en évitant le piège de la dramatisation inutile, qu'Isola adopte un point de vue quasi documentaire dans lequel Yilin YANG n'a plus à user de ses talents d'actrice pour communiquer sa détresse face à ces visages sans noms arrivant par centaines sur la terre ferme après une traversée de la Méditerranée dans des conditions désastreuses.


Usés par la fatigue, les conditions de vie précaires et par la mort qui les a entourés, les migrants constituent les principales figures fantomatiques des limbes cauchemardesques d'Isola. Ayant fui la guerre, la misère ou aspirant simplement à une vie meilleure, ces personnes semblent perdre tout ce qui constitue leur humanité lorsque les autorités italiennes leur attribuent un simple chiffre afin de les identifier. Entassés et regroupés dans des endroits qui ne sont pas adaptés à leur accueil, ces personnes deviennent les fantômes d'un jour, d'une semaine ou d'un mois en disparaissant aussi rapidement qu'ils étaient apparus, comme si leur existence n'avait jamais été avérée.


Suivant le même parcours identitaire que Eve BITOUN dans New Territories, Yilin YANG tend, tout au long du film, à devenir la principale figure fantomatique. C'est en observant les migrants que Daï se confronte à sa propre situation. Comme face à un miroir, la jeune fille se voit disparaître peu à peu d'un monde dont elle ne partage ni la culture, ni la langue, ni la religion. De plus en plus invisible aux yeux des habitants natifs de l'île, et parfois rabaissée au statut d'objet sans âme, Daï devient peu à peu une nobody, volatilisée dans son pays d'origine et n'ayant jamais existé dans son pays d'accueil. À contrario, c'est en entrant en contact avec les autres fantômes – les migrants – que Daï semble retrouver son existence, où la barrière de la langue et les différences culturelle s'effacent peu à peu lors de leurs échanges.


Outre le fait que Fabianny DESCHAMPS redonne vie à ces nobodies arrivant quotidiennement en Europe, la réalisatrice poursuit ses réflexions sur le concept de l'interculturalité en rapprochant systématiquement des personnages venant de différents horizons et de différentes sociétés. Contrairement à New Territories, où la question des traditions culturelles était au centre de la narration, Fabianny DESCHAMPS traite dans Isola du rapport que les individus entretiennent aux religions et au langage. Des communications entre Daï et Hicham construites sur les quiproquos que créent les sonorités similaires au mandarin et à l'arabe, jusqu'aux déambulations de Daï au sein de grandes processions religieuses, la réalisatrice interroge la véracité des oppositions qui existeraient entre les différentes langues et religions, et nous rappelle que la communication ne repose pas uniquement sur des principes linguistiques et que la foi ne varie pas en fonction de la religion.


En proposant un film moins pessimiste et marqué par une narration plus traditionnelle que New Territories, Fabianny DESCHAMPS semble vouloir expliquer que les individus peuvent vivre ensemble et s'enrichir grâce à la culture de l'autre. Si son précédent long-métrage nous montrait le conflit entre deux cultures qui aboutissait à l'évincement de l'une des deux, Isola se caractérise quant à lui par des personnages qui font des va-et-vient dans un monde qu'ils ne comprennent pas et qui ne les comprend pas, mais où réside l'espoir de voir un jour les cultures se compléter malgré leurs oppositions, les langues communiquer malgré leurs différences et les religions s'entraider grâce au principe même de la foi.


Critique écrite dans le cadre du MagGuffin n°7

Créée

le 10 nov. 2016

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Yerp Ono

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