Les temps deviennent de plus en plus difficiles pour les dinosaures de la nouvelle vague. Allen Fong, Patrick Tam Kar Ming ou Alex Cheung semblent avoir définitivement abandonné la réalisation. Tsui Hark, véritable maître du cinéma Hong Kongais entre 86 et 93, peine à retrouver le succès auprès du public. Ann Hui souffre également de la nouvelle donne de l'industrie cinématographique locale mais dans une proportion bien moindre que ses collègues. La réalisatrice, à cause de son style délicat et de ses sujets moins orientés vers le divertissement que la moyenne de la production, a toujours du se battre pour trouver des financements. La frilosité des producteurs HK depuis la crise du milieu des années 90 lui a encore compliqué la tache. Pourtant, Hui n'a aucunement perdu de son talent comme le prouvent Ordinary Heroes ou July Rhapsody.
Pour adapter cette nouvelle de Hai Yan, Ann Hui s'est donc tournée vers la Chine Continentale, preuve de l'interaction croissante entre le cinéma de la « mère patrie » et l'ancienne colonie. Au casting, on ne trouve d'ailleurs qu'un seul acteur Hong Kongais (Tse junior) et la majorité de l'équipe technique est Chinoise. L'ancienne membre de la nouvelle vague n'est pas non plus une novice en la matière, elle qui avait tourné à Shanghai pour son American Grandson ou à travers l'empire du milieu pour ses Wu Xia Pian Romance Of Book And Sword/Princess Fragrance. Mais jamais l'importance de la Chine n'avait été aussi capitale dans l'élaboration et la mise en œuvre d'un de ses projets. Pour autant, cela n'affecte pas fondamentalement la réalisatrice qui demeure maîtresse de son art.

La force du cinéma d'Ann Hui a toujours été sa capacité à créer des personnages crédibles et touchants. Même ses œuvres les plus mineures (Zodiac Killers par exemple) conservaient cet aspect. Rien d'étonnant donc à retrouver cette marque de fabrique dans Jade Goddess Of Mercy. La réalisatrice profite d'un scénario avec un nombre de personnages restreint, lui permettant de développer adéquatement chacun d'entre eux.
Elle ne choisit pas pour autant la facilité en optant pour un montage non linéaire fait de flashbacks et de changement de personnages principaux. Ce type d'exercice est toujours délicat car susceptible de perdre l'attention du spectateur en route. Mais la réalisatrice l'utilise ici de manière appropriée, le dispositif donnant une énergie inattendue à un film au rythme plutôt lent et forçant le public à s'investir dans les personnages.
Ce but atteint, Hui peut donc se concentrer pleinement sur ces derniers. C'est Ah Xin qui occupe le plus son attention, continuation logique des nombreux portraits de femme qui peuple sa filmographie. La jeune femme est décrite tout en pudeur comme un être plein de bons sentiments mais aussi déchirée par son trop grand besoin d'amour. Son attitude vulnérable mais volontaire en fait un personnage particulièrement attachant pour laquelle on ressent une véritable empathie. Le choix de Vicky Zhao pour l'interpréter est à double tranchant. L'actrice est douée et elle parvient bien à nous faire ressentir les différents troubles qui agitent Ah Xin. Mais elle est trahie par son physique. Car comment croire que la frêle jeune femme puisse être à la fois championne de Taekwondo émérite et une policière capable d'affronter les trafiquants au fusil mitrailleur ? Un détail qui ne sort pas du film mais peut parfois prêter à sourire.
Si Ah Xin est le cœur aussi bien émotionnel que narratif de Jade Goddess Of Mercy, les personnages masculins ne sont pas oubliés pour autant. Yang Rui bénéficie également de la touche à la fois réaliste et pudique d'Ann Hui. Le personnage se distingue par son évolution incessante. Quasi gigolo habitué au luxe et à la superficialité, il embrasse au contact d'Ah Xin des valeurs plus spirituelles en plus de découvrir des sentiments authentiques (à contrario de ses relations d'un soir ou basées sur l'argent à Pékin). Un parcours particulièrement intéressant que réalisatrice comme acteur (impeccable Liu Yun Long) rendent à merveille. Mao Jie est lui plus en retrait même si son influence pèse sur l'intégralité du métrage. Le personnage est, logiquement, moins attachant car assez monolithique. Mais même ainsi, Ann Hui parvient à lui conférer une certaine humanité par quelques détails judicieusement mis en valeur. La prestation de Nicholas Tse a beau être appliquée, on le sent un cran en dessous de ses camarades de tournage. Heureusement, il fournit le minimum nécessaire pour que cela n'heurte pas fondamentalement l'ensemble du film et relève même la tête en fin de métrage.

Des personnages humains auxquels on s'intéresse, c'est déjà une belle réussite à mettre au crédit de Jade Goddess Of Mercy. Le film n'a cependant pas que ça à offrir.
Son histoire proprement dite est bien ficelée, profitant à plein du montage audacieux choisi par Hui. Le travail effectué sur les personnages y porte ses fruits en faisant progresser la narration de manière lente mais implacable. Le tout culminant en un final particulièrement intense nous prouvant que la réalisatrice n'a rien perdu du savoir faire de ses premières œuvres.
Le tournage en Chine est également l'occasion pour elle de mettre en valeur la région du Yunnan, ses habitants et leur culture. Dans ces moments intimes entre vie quotidienne démunie et travaux de ferme, le cinéma d'Ann Hui prend des accents de film d'auteur versant Chine Continentale (Chen Kaige des débuts). Une apparence somme toute assez logique tant ses films ont toujours joué sur un mélange entre obsessions auteurisantes et sujets commerciaux (ici le polar). Un grand écart qui la place en bonne position dans le cadre de la nouvelle donne du cinéma Chinois (avec un grand C).

Œuvre touchante et bien faite, Jade Goddess Of Mercy n'est pas le chef d'œuvre de son auteur (on gardera ce terme pour Song Of The Exile ou Summer Snow). Ce n'en est pas moins un film de grande qualité qui prouve à quel point on peut encore compter sur cette vétérante de l'industrie cinématographique.
Palplathune
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Ann Hui, Liste statistique : Années 2000 à 2009 et Les meilleurs films de 2003

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le 26 févr. 2011

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