Il y a des films qui ne valent presque que pour une scène, pour un détail, pour une particularité, et Sono yo wa wasurenai est de ceux-là pour moi, même si ses qualités dépassent largement ce petit ilot émotionnel. Une séquence située à la fin de l'avant-dernière partie se matérialise comme une explosion atomique, au sens propre (ce qui est montré à l'écran) comme au sens figuré (ce que ressent le protagoniste), tandis que Ayako Wakao révèle un secret intime enfoui à un journaliste rencontré alors qu'il enquêtait péniblement sur les effets de la bombe larguée sur Hiroshima 17 ans auparavant. Cette scène, cette image, persistera longtemps après le visionnage, aux côtés de quelques autres du même niveau de suggestion explosive.


C'est sans conviction que l'intrigue démarre, en 1962, avec le reportage que doit réaliser un journaliste sur les lieux de l'explosion nucléaire, en prévision d'une célébration annuelle du bombardement du 6 août 1945. Il arpente les rues et les commerces non sans un certain désespoir : tous les habitants semblent s'être parfaitement adaptés, et la vie a repris son cours normal. Les rencontres qu'il fait avec quelques personnes ayant des séquelles physiques visibles sur le visage et manifestant un sentiment de résignation joyeuse le poussent à penser que le sujet est particulièrement mal choisi. Ici on travaille, on danse, on s'amuse comme n'importe quelle ville japonaise. On en viendrait presque à penser que le traumatisme relève de la science-fiction, qu'il ne s'est rien passé ou que les traces du passé ont été soigneusement effacées.


Et puis il y a cette rencontre avec Ayako Wakao, une femme qui était présente à Hiroshima en 1945 et qui ne paraît pas différente des autres dans son comportement. Une relation se noue, une romance naît, mais quelque chose semble la retenir.


Sans réelle surprise, le charme de l'actrice et la pudeur de son élégance servent admirablement le propos du film, faisant d'elle une allégorie vivante de l'horreur nucléaire passée et de la ville dans son ensemble — elle aussi essaie de dissimuler les cicatrices du passé en embrassant pleinement une nouvelle vie. Très loin des approches comme Pluie noire de Shôhei Imamura que l'on pourrait qualifier de brutales, la mort est dissimulée autant que possible, reléguée dans des souvenirs à oublier et sous les tissus des kimonos. Le contraste entre l'apparente quiétude générale et les drames personnels souterrains explosera lors de la scène centrale, et il suffira d'entrouvrir le kimono d'une femme pour laisser exploser tout le potentiel mélodramatique du film, à la faveur d'une surimpression monumentale.


L'épilogue ne sera pas en reste de ce point de vue-là, avec le symbole des pierres qui s'effritent, rappelant l'horreur des corps sublimés. L'image est déchirante autant qu'obsédante, révélatrice d'une myriade de tragédies enfouies.


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Morrinson
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le 16 août 2023

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