Quand on a commencé d'étrangler le chat... il faut le finir !

C'est parfois assez dur de dire pourquoi on adore un film sans tomber dans le "ça c'est super, oh et ça c'est géant, et ça c'est génial" et autres formes de superlatifs. Je vais quand même essayer. Ce film je l'ai tout de suite beaucoup aimé, et après 2 ou 3 visionnages supplémentaires, il entrait dans le cercle de mes films favoris, détrônant des films que je n'aurais jamais cru voir derrière. Je précise que Jean de Florette et Manon des sources ayant été tournés ensemble, je prends sciemment la décision de parler ici des deux films en une critique.


D'un point de vue budget, on peut dire que c’est une des premières superproductions cinématographiques à la française, 30 ans après les américains, c’est ce qui s’appelle être réactif. Mais ici pas de scènes d’action ou d’effets spéciaux, une histoire humaine avant tout, bien évidemment tirée de l’excellent roman de Marcel Pagnol que je vous conseille, soit dit en passant.


Certains ont parlé de remake, ce qui n’est vrai que partiellement. Marcel Pagnol a en effet tourné Manon des Sources en 1952. Mais Jean de Florette n’avait pas été tourné pour la simple et bonne raison que Pagnol ne l'a écrit qu'en 1963, faisant sur papier, ce qu’on n’appelait pas encore un prequel. Reste que la comparaison avec l’ancien film Manon des sources a souvent été faite. Me concernant il n’y a pas photo sur la meilleure version.


Le film de 1952 est d’abord très différent de son successeur dans sa première partie avec des intrigues sans rapport avec l’histoire principale, absentes même du livre. Ensuite le tout est beaucoup trop long. Pour vous donner une idée : Manon des sources seul est à peu près aussi long que Jean de Florette et Manon des sources de 1986. Et je sais que le jeu d’acteur de l’époque à ses adeptes, mais soyons francs, même si je conçois qu’il peut avoir son charme, de nos jours il a pris cher : Souvent oscillant entre le sous-joué et le surjoué, trop théâtral en tout cas, notamment dans le sens où le respect du texte à la virgule près se sent trop. Enfin, Manon est censée être une jeune sauvageonne adolescente. Or, elle est jouée par Jacqueline Pagnol qui avait dépassé la trentaine… C’est bien gentil de placer votre femme Mr Pagnol, mais y’a peut-être une erreur de casting là.


Quoi qu’il en soit, après une première tentative à la fin des années 70, le projet est réanimé au milieu des années 80. Et le nabab du cinéma français est aux manettes : Claude Berri. Producteur et réalisateur d’un nombre incalculables de succès. Il obtient les droits du livre et l’aval de Jacqueline Pagnol, Marcel étant décédé une dizaine d’années plus tôt. Si certaines scènes ont sauté, aucune n’est primordiale à l’intrigue. D’autres ont été naturellement écourtées et il y a un changement majeur que j’évoque plus bas, mais globalement, je peux témoigner que l’adaptation est assez fidèle au livre.


Donc Claude Berri voit les choses en grand. D’abord, il tournera les films simultanément, ensuite le budget sera le plus gros de l’histoire du cinéma français à l’époque : 120 millions de francs. 18 millions d’euros aujourd’hui, ce qui serait loin de productions comme les Astérix ou certains films de Luc Besson, mais encore très conséquent. Un village sera modifié pour lui donner l’allure des années 20/30, et tant qu’à faire on va recruter un casting de rêve. Berri avait déjà beaucoup de succès derrière lui à l’époque, mais ce pari risqué pouvait soit lui apporter la consécration, soit lui coûter gros.


Donc un jeune homme nommé Ugolin rentre de son service militaire, dans le village de son enfance, en Provence. Il est de la famille des Soubeyran, famille riche et connue dans la région mais qui a perdu de son prestige avec le temps. Ils ne sont aujourd’hui plus que deux, Ugolin donc, et César son « papet » un sexagénaire très attaché à son nom qu’il tient à voir perdurer. Il veut que son neveu se marie, mais il lui faut d’abord se bâtir une situation. Ugolin veut faire des œillets, mais pour ça, il lui faudrait de l’eau à portée. Il veut acheter la ferme des Romarins qui détient une source. Or un certain Jean Cadoret vient d’en hériter, un homme de la ville instruit qui n’a a priori pas vocation à travailler la terre, il s'y installe avec sa femme et sa petite fille Manon, avec l’espoir d’y vivre le restant de ses jours, vivant de ses élevages et ses récoltes. César et Ugolin vont donc tout faire pour lui savonner la planche : En d’autres termes, le ruiner pour le forcer à vendre.


L’histoire s’étend sur des années, plusieurs années s’écoulant entre le premier et le second film. Outre l’intrigue, je dois dire que LA grande force de ces films, et je pèse mes mots, c’est l’interprétation. Les acteurs et actrices sont d’une justesse rare, je suis très très fan. Le rôle central de ce diptyque, c’est celui de César Soubeyran. Agissant souvent dans l’ombre, souvent éclipsé par d’autres personnages, il reste pourtant celui qui a le plus de responsabilité dans toute l’affaire, les actes de sa jeunesse ayant même des répercussions sur le présent, et jusqu’au bout du bout, la fin du second film le démontrera amplement. Il est joué ici par Yves Montand. A mon sens, son jeu d’acteur n’a jamais été si admirable, mais ici, il faut admettre qu’il signe une des meilleures performances de sa carrière, le rôle de patriarche qu’il était devenu lui va comme un gant. C’est aussi une leçon d’abnégation qu’il a livré car il a perdu Simone Signoret durant le tournage.


Pour Ugolin, Coluche était pressenti pour le rôle. Heureusement, il n’a pas été pris. Certes Coluche a démontré être un acteur complet, excellent aussi dans les rôles dramatiques. Mais j’ai beau faire, je ne l’imagine pas en Ugolin. Physiquement tout d’abord il était sans doute trop fort, un peu trop vieux également, et puis il n’avait pas l’accent. C’est Daniel Auteuil, jusqu’ici surtout connu pour ses comédies pas finaudes (comme les sous-doués) qui obtient le rôle, pour lequel il obtiendra un césar entièrement mérité, car sa performance est remarquable. Timide, conspirateur, voisin jovial, amoureux fou, éploré par le chagrin, les registres lui vont tous. Il tient le rôle d’Ugolin, j’en reparlerai. Notons d’ailleurs que Daniel Auteuil a du s’enlaidir pour le rôle, lui qui faisait des complexes sur son physique…


Jean Cadoret lui est tenu par un Gérard Depardieu au top. A part peut-être dans Cyrano de Bergerac mais qui est dans un registre plus particulier du au texte en vers, je trouve qu’on tient LA performance de sa carrière, incarnant avec justesse la folie douce de Jean Cadoret. Mais à l’époque, Depardieu était nominé pour les Césars quasiment chaque année (13 fois en 16 ans !) et cela ne surprenait plus personne. Or à l’instar de Tenue de soirée où il était aussi bon que Michel Blanc mais ne surprenait pas, contrairement à ce dernier qui changeait de registre, ici sa prestation a beau être formidable, c’est Daniel Auteuil qui se révélait, c’est donc ce dernier qui sera récompensé. Peut-être un peu injuste quelque part.


Du côté de ces dames, c’est Elizabeth Depardieu qui joue la femme de Jean Cadoret, tant qu’à faire. Plutôt en retrait, elle reste convaincante. La petite Manon est tenue par une fillette qui n’a pas fait carrière ensuite, mais dans la deuxième partie, le rôle est tenu par la jeune Emmanuelle Béart, doublement magnifique. De beauté tout d’abord (c’était avant que ses lèvres n’aient, proportionnellement, plus gonflées que le ventre de Depardieu) mais son jeu aussi, donc. Elle n’a pas tant de répliques mais elle parvient à faire passer énormément de choses en un regard, on la sent régulièrement bouillir intérieurement, et lorsqu’à l’occasion elle se déchaîne, ça marche parfaitement.


A 23 ans elle était encore assez jeune pour faire grande ado/jeune adulte, mais de toute façon la transition entre deux actrices a nécessité un changement : 3 ans se déroulent entre les deux parties dans le livre, mais on passe à 10 ans dans cette adaptation. Ce changement en soi important n’influe pourtant pas sur la suite. Peut-être ne sent-on pas assez les 3 années de la première partie passer, pas aidé par l’actrice qui joue Manon enfant qui, évidemment, ne grandit pas. C’est un défaut bien relatif et qui ne me gêne que modérément, c’est à peu près le seul que le trouve.


Notons aussi un casting secondaire de la qualité, notamment dans Manon des sources : Didier Pain qui aura deux passages marquants, et qui plus tard jouera l’Oncles Jules dans l’adaptation des souvenirs d’enfance de Pagnol. Hippolyte Girardot dans le rôle d’un instituteur, ou encore Ticky Holgado pour une scène. Idéalement servis par les acteurs donc, la force du film tient à l’ambiguïté des sentiments. J’ai déjà parlé de César, mais il y a aussi ceux d’Ugolin avec Jean et Manon, qui sont mis plus en avant. Ugolin a plus de cœur que ce que ses actions démontrent. Subissant l’influence du papet, il leur fait du mal en douce et devant eux tente de se racheter, par calcul entre autres mais aussi et surtout pour apaiser sa conscience.


Bien entendu, les dialogues sont chiadés, ce qui est logique vu la base solide que constitue le roman. Ajoutez aussi en qualité les magnifiques paysages de la Provence et les compositions bucoliques de Jean-Claude Petit. D’ailleurs le rendu en qualité DVD est à ce point bon qu’on ne croirait pas que ce film a presque 30 ans, des films plus récents ont moins bien supporté les années. En bref, tout était réuni pour un succès. Jean de Florette sera le plus gros succès français de 1986, Manon des sources le deuxième, 14 millions de spectateurs à eux deux. A mon sens un triomphe mérité, je ne saurais que trop vous les conseiller.

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le 8 mai 2016

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The Reg

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