Fenêtre sur cour

Mauvaise langue, je craignais d’aller voir le dernier film de la talentueuse cinéaste Maïwenn dont j’avais beaucoup aimé les derniers films (‘Polisse’, ‘ADN’ entre autres). Comment allait-elle se dépatouiller de son biopic en costume ? Et Johnny Depp en Louis XV ? Le résultat est étonnant, fonctionne parfaitement et est une franche réussite.

Jeanne, jeune fille du peuple avide de culture et de plaisirs, utilise son intelligence et son charme pour gravir un à un les échelons de l'échelle sociale. Elle devient la favorite du roi Louis XV qui, ignorant son statut de courtisane, retrouve grâce à elle le goût de vivre. Ils tombent éperdument amoureux et, en dépit des convenances et de l'étiquette, Jeanne s'installe à Versailles où son arrivée scandalise la cour.

Etant peu avide des biopics souvent hagiographiques et sans âme, je redoutais la façon dont Maïwenn allait traiter la vie de la favorite du roi Louis XV. La bonne idée est d’expédier son enfance et sa jeunesse en quelques scènes et une voix-off. Cela nous permet d’entrer quasi directement dans le vif du sujet, la période la plus intéressante étant évidemment sa vie à la cours de Versailles.

Le film en costume est en lui-même somptueux. Les décors sont beaux, les costumes sont magnifiques et servent merveilleusement bien les comédiens. Surtout, elle évite l’écueil des films d’époque. Le film sent tout sauf la naphtaline car Maïwenn fait preuve d’une vraie liberté. Il y a déjà beaucoup d’humour dans le film mais surtout les acteurs ne sont pas sur le même régime de jeu. Jeanne du Barry (Maïwenn) parle comme de nos jours. Louis XV (Depp) a un accent américain. Le Duc de Richelieu (et non le cardinal, Pierre Richard) parle comme dans un vieux film. Les filles du rois surjouent les pestes de manière jouissive. Seul La Borde (Benjamin Lavernhe) semble avoir un phrasé d’époque. Tout ce joyeux bordel d’élocution (que j’imagine sciemment pensé) confère une vraie vie, un souffle au film.

Evidemment, le sujet du film est fort intéressant. Le personnage est passionnant. Jeanne du Barry est un transfuge de classe, qui trouve sa place auprès de l’homme le plus puissant de France avant d’en être chassée. Elle semble libre, éduquée, se moquer de l’étiquette. Il n’est pas interdit de voir dans ce destin des résonances avec notre époque.

Car ce que Maïwenn montre extrêmement bien, ce sont les intrigues de cours. La position occupée par Jeanne du Barry suscite jalousies et convoitise. Sa position est incertaine. Elle prend la place d’une autre et sera peut-être remplacée. On sent la méchanceté des ducs et des duchesses, les coups bas, les regards méprisants, les insultes à peine (et même absolument pas) voilées. La déchéance de Jeanne du Barry sera aussi éclaire que ne fût son ascension à l’intérieur du Château de Versailles.

Maïwenn sait concocter des scènes fortes, mémorables. Dans ‘Le bal des actrices’, il y avait une projection de cinéma hilarante. Je me souviens d’une engueulade entre Karin Viard et Marina Foïs dans ‘Polisse’. Dans ‘ADN’, il y avait une étonnante scène chez les pompes funèbres. Ici, il y en a plusieurs. Par exemple, l’examen gynécologique surréaliste précédant la première nuit avec le roi, ou le réveil de celui-ci en grande pompe dont Maïwenn moque les procédures pompeuses. Mais une scène me reste vraiment en mémoire, celle où Jeanne du Barry proche de la disgrâce attend quelques mots de la future épouse du dauphin Marie-Antoinette. Deux ou trois mots insignifiants de celle-ci, et la favorite exulte.

On savait que la direction d’acteurs était une des spécialités de la cinéaste. Mais là, j’ai trouvé les comédiens vraiment superbes. Il faut dire que le casting est d’une liberté assez rare pour un film français. Entre un acteur américain, un acteur de comédies, des acteurs de théâtres et des têtes d’affiche du cinéma d’auteur ainsi qu’elle-même, Maïwenn a fait le grand écart. Pierre Richard (presque méconnaissable) surprend en Duc de Richelieu. Patrick d'Assumçao incarne un Choiseul mauvais et comploteur. Noémie Lvovsky et Micha Lescot sont d’une amusante méchanceté. India Hair et Suzanne de Baecque incarnent de manière hilarante les filles de Louis XV, quelque part entre des vamps et les méchantes sœurs de Cendrillon. Le choix de Johnny Depp dans le rôle de Louis XV est peut-être plus discutable. Personnellement, je l’ai trouvé assez bon dans sa composition. Il est un monarque bouffi, grassouillet mais parfois effrayant. Mais celui qui m’a soufflé, c’est Benjamin Lavernhe. Je l’ai trouvé exceptionnel dans le rôle de ce valet loyal au roi et à sa favorite.

Maïwenn signe une mise en scène plus classique, plus ‘Barry Lindon’ que pour ses autres films dans lesquels la caméra se voulait plus nerveuse, plus caméra-à-l ’épaule. L’ensemble est à la fois classique et moderne. C’est un excellent film.