pour le texte, Charles Péguy, avec ses deux œuvres consacrées à Jeanne d'Arc (qui correspondent sans doute au décrochage temporel et aux deux parties du film, avec les deux interprètes de Jeanne d'Arc) ; mais il n'est pas sûr que les dialogues soient intégralement empruntés à Péguy. Péguy, donc, avatar de Jeanne d'Arc (mais aussi de Dumont à moins que celui-ci ne se moque de nous), homme de gauche, profondément, mais qui allait demander la mort pour Jaurès en raison du pacifisme de ce dernier, de son conformisme, on y revient, Péguy en Yatagan de Dieu, qui allait sereinement se faire tuer au front du côté de Verdun pour bouter l'Allemand hors de France ; il est inutile de préciser que le texte est souvent incompréhensible, indigeste, parasité par des ajouts ridicules, des répétitions saoulantes, un lexique pour faire authentique (de la demeurance à la partance …).
Dumont y ajoute incidemment quelques « fantaisies », parfois gratuites, parfois redondantes, comme des figures récurrentes de son œuvre :
ses thèmes obsessionnels, le contact direct avec la nature, qui pousse ici les personnages à piétiner dans le sable ou dans l'eau, à l'écart des chemins tracés), la chute (celle de l'oncle, notamment, quand il veut monter sur le cheval – et à cet instant la jeune interprète de Jeanne d'Arc ne peut contenir son rire, trait « d'humour » ou dérapage évidemment conservé au montage, car Dumont est un adepte définitif de la spontanéité) ou au contraire l'élévation, entre plongées et contreplongées vertigineuse, et plans célestes) …
Mais il y a bien mieux. Ou bien pire, c'est selon.
Le chant.
Presque tous les dialogues sont chantés – et c'est là que la méthode prend toute sa forme, avec pour les comédien(ne)s en herbe une consigne de cet ordre : vous avez la bande musicale en son direct (et les bêlements des moutons et tous les bruits parasites viendront aussi s'y inscrire), vous dansez et vous chantez exactement comme vous le sentez, comme vous le voulez.
Toute la révolte de Dumont est donc là (à moins qu'il ne se foute de nous, et le doute commence à s'imposer sérieusement) : dans cette transe pour la France, la spontanéité de la jeunesse contre le conformisme des adultes (et l'on se souvient que Dumont, en successeur auto-proclamé de Bresson ne voulait pas des comédiens professionnels, de leurs trucs et de leurs tics, qu'il s'était constamment disputé avec Luchini, trop acteur, sur le tournage de Ma Loute). Donc les jeunes comédien(ne)s chanteront à leur façon, sans consignes ni contrôles, totalement faux donc, atrocement, à casser les oreilles (et plus si affinités) des spectateurs.
Un supplice.
Toute la révolte de Dumont est donc là, entre fausses notes, dérapages incontrôlés, voix vacillante, diction nasillarde, souffle court, articulation défaillante, mots avalés …
(Au point que la chaîne Arte choisira pour sa retransmission de sous-titrer le texte chanté …)
Mais le texte parlé n'est pas mieux.
Les jeunes actrices se tournent face au spectateur, comme à l'école face à la classe pour l'heure de récitation, et ânonnent un texte auquel elles ne comprennent rien, avec trous de mémoire, bafouillages, mots à nouveau mangés …
(Et Dumont s'en moque).
Mais il ne s'aperçoit pas qu'il y a comme une contradiction dans cette représentation « spontanée » de la révolte. Rien de moins spontané que l'apprentissage et le recrachage laborieux d'un texte à la manière scolaire. On commence à confondre cacophonie et transe mystique.
(Une parenthèse, hors-sujet ou pas, sur des souvenirs de récitation à l'école : est-ce que les enfants qui débitaient « si votre ramage se rapporte à votre plumage, vous êtes le phœnix des hôtes de ces bois », comprenaient quelque chose à ce qu'ils énonçaient …?)
Dumont entreprend aussi, à sa façon, une relecture « libératrice » de la comédie musicale comme il s'était attaqué au burlesque avec Ma Loute. Mais ce dernier film était d'une grande richesse ; là Dumont se vautre, faute sans doute d'un vrai travail et de la réduction de son film à quelques procédés simplistes, niais, finalement stéréotypés.
La foi donc, la quête de la grâce, la pureté de la révolte au bout du compte ? A moins que comme Jeanne, Dumont n'ait aussi entendu quelques voix – comme l'avait joliment suggéré un autre (grand) provocateur, Gainsbourg :