"Rien n'est plus paisible qu'un cœur qui a cessé de battre."

Jour de colère commence un peu comme se terminait La Passion de Jeanne d'Arc 16 ans plus tôt, à savoir le procès en sorcellerie d'une femme dont l'obtention des aveux se fera dans une grande douleur. Si l'austérité formelle et narrative (c'est le moins qu'on puisse dire) caractérise aussi bien l'un que l'autre, la comparaison s'arrête là car ici cette exécution constituera un point de départ et non un point final.


Dans un cadre extrêmement rigoriste, Dreyer s'intéresse au foyer du pasteur Absalon dans un village danois du 17ème siècle, structuré autour de plusieurs pôles : sa mère Merete, sa femme et seconde épouse Anne, et son fils Martin issu d'un premier mariage, qui bouleversera l'équilibre relatif de la demeure à l'occasion de son retour, au même titre que la vieille Marte expiée de ses péchés par le feu en introduction. Au creux d'un récit âpre, lent, sec, froid, le caractère méthodique et décharné de la progression se verra toutefois régulièrement bouleversé par des séquences d'une très grande puissance émotionnelle.


Si l'on peut difficilement contester le fait que le film soit tout entier gouverné par une tonalité parmi les plus dures et les plus dépouillées qui soient, cela ne signifie pas nécessairement que l'émotion en soit exclue. Bien au contraire : quelques temps forts articulent solidement le récit, en brisant la dimension monotone et l'austère des échanges sur le sacré, et lui confèrent un rythme tout aussi indéniable.


C'est d'abord le sort de Marte, qui demande pardon à genou et en pleurs, moment terrible, qui révèle une part sombre du passé d'Absalon, et qui finira au bûcher en emportant avec elle ce secret au-delà de la séance de torture qui aboutit à sa confession.
C'est ensuite cet instant lumineux et bucolique, cette parenthèse poétique enchantée au cours de laquelle Anne s'enfuira avec son amant l'espace de quelques scènes en forêt, dans les champs, en profitant des seuls rayons de soleil et des seuls courants d'air qui traverseront le film. L'espace d'un instant, c'est comme s'ils renouaient avec un Paradis perdu.
C'est enfin ce dernier segment, glaçant, qui se terminera sur la procession funéraire d'enfants devant un cercueil, avec le geste accusateur terrible de la mère Merete et le renoncement in extremis du fils Martin quant à ses engagements.
Il en résulte une peinture du dogme et de l'aveuglement, sur le chemin de l'idéal de pureté, entre intégrisme religieux, égoïsme et intolérance, construisant par petites touches successives le portait d'une souffrance et d'un mal terrifiant.


Étonnamment donc, les émotions et les sentiments sont omniprésents dans Jour de colère, latents, prêts à sourdre comme La Source de Bergman. Cela relèverait presque d'un symbolisme scandinave. Autant de passions, divergentes en soi, mais également soulignées par un travail de contraste permanent. À l'image du visage d'Anne, saisi au vif à de nombreuses reprises, comme emprisonné dans des clairs-obscurs sublimes.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Jour-de-colere-de-Carl-Theodor-Dreyer-1943

Morrinson
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top films 1943, Cinéma mondial, Cinéphilie obsessionnelle — 2020 et Réalisateurs de choix - Carl Theodor Dreyer

Créée

le 4 avr. 2020

Critique lue 277 fois

10 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 277 fois

10

D'autres avis sur Jour de colère

Jour de colère
Sergent_Pepper
9

«Rien n’est plus silencieux qu’un cœur qui a cessé de battre.»

Dreyer, tout le monde le sait, rime avec austère. Alors qu'il a exploré la transfiguration dans La Passion de Jeanne d'Arc et affiné ses expérimentations esthétiques sur Vampyr, il aborde ici le...

le 12 déc. 2013

62 j'aime

4

Jour de colère
Rawi
9

Critique de Jour de colère par Rawi

Jour de colère est un démenti à tous ceux qui pensaient que Dreyer n'avait pas su s'adapter au cinéma parlant. Alors oui, certes ce film est très proche plastiquement de l'univers du muet mais ça ne...

Par

le 17 déc. 2013

32 j'aime

13

Jour de colère
Bestiol
7

Critique de Jour de colère par Bestiol

Au début, on est surpris parce que ça parle (dans notre inculture, on croyait que Dreyer n'avait fait que du muet). Et puis ça recommence (comme dans _La Passion de Jeanne d'Arc_) : ces faces, bon...

le 6 févr. 2011

28 j'aime

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

142 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11