Mitigé, je suis tout de même, comme de coutume, une nouvelle fois plutôt perplexe, si épaté que je baigne dans un océan de réflexions, devant la capacité du cinéma populaire japonais, malgré le caractère mercantile de ses productions ordinaires, à soulever des questions très élevées, à en filmer les contours avec une certaine conviction. Ce n'est pas toujours très fin, il s'agit de ce qu'on appelle du "roman porno" (appellation si trompeuse qu'on n'en finira jamais de l'expliciter : cinéma érotique populaire) Il est donc forcément des passages obligés, ces scènes érotiques, parfois glauques, qu'il faut par conséquent suivre avec plus ou moins de bonheur. Mais au-delà de cette attirail du genre, qui a également l'avantage de nous interroger sur notre propre rapport à la sexualité et à l'érotisme en général, le roman a souvent été un moyen pour les cinéastes d'assouvir consciencieusement leur passion : celle de raconter des histoires avec de bons scenarii, de bons comédiens et une mise en scène soigneuse, voire belle.

Et je peux donc écrire sans mentir, sans aucune exagération, que ce "Journal érotique d'une secrétaire" évolue sur les mêmes plates bandes qu'un film comme "Quand une femme monte l'escalier" de Mikio Naruse. Effectivement, on peut de façon légitime relier Konuma et Naruse. Comme chez Naruse, Konuma se penche scrupuleusement et avec une sincère attention sur une femme. Il développe un récit qui évoque la situation de la femme dans un champ de vision très large, sociétal.

C'est par le biais de Asami (Asami Ogawa), banale secrétaire perdue dans la foule de toutes les autres secrétaires, travaillant à ses taches ingrates avec rigueur dans les bureaux tokyoïtes que le scénario nous impose un regard interrogateur sur la place de la femme dans la société. Elle couche avec son supérieur hiérarchique et espère trouver le bonheur dans cette relation. Le mariage est souvent au centre des préoccupations de ces célibataires que le monde moderne a rendu un peu plus isolés.

Cette femme ne sait pas trop où elle va. Le temps se charge de lui rappeler comme une nécessité qu'elle doit prendre en main sa vie affective. Faut-il espérer que la relation avec son patron va bel et bien déboucher sur quelque chose de plus sérieux? Longtemps, elle se l'imagine. Elle a bien avorté une fois pour préserver cette relation, mais le désir de maternité commence à la travailler au corps et à l'âme. Faut-il engager une relation avec ce jeune homme, un marginal vendeur de poussins dans la rue, un idéaliste qui rêve de rentrer sur son île d'origine, Kyûshû, si loin de Tôkyô? Comment faire pour gérer ce vieux père de plus en plus prompt à téter du saké? Cette femme est donc à une époque charnière de sa vie et se doit de faire un choix, difficile.

Pendant une longue partie du film, plutôt ennuyeuse, le récit étale ces éléments de l'histoire avec un certain classicisme. On a droit bien entendu aux scènes de cul d'usage, assez sages et longuettes. Je suppose que l'ennui vient de ce rythme trop lent et sans doute aussi du charisme pour le moins absent de l'actrice principale. Asami Ogawa n'est pas très belle, mais surtout n'affiche pas une large palette d'expressions. Ca manque souvent de finesse dans son jeu. Avec une actrice un peu plus vivante, le film aurait gagné en saveur. Clairement! Mais elle n'est pas la seule à montrer des faiblesses de jeu. A peu près tous les comédiens ne sont pas terribles, ce qui est surprenant dans la mesure où le cinéma japonais dans son ensemble (bonnes ou mauvaises productions) a toujours proposé des comédiens doués. On a là une exception qui confirme la règle? Ou bien Konuma rate-t-il sa direction d'acteurs sur ce film?

Le cinéaste compense en partie ce déficit par une recherche à peu près constante sur la forme. Les cadrages sont très variés et cette diversité permet bien souvent de ranimer l'intérêt que l'on porte au film. Konuma fait même preuve de beaucoup d'audace sur certaines séquences, avec des plongées risquées, des plans de coupe étonnants, des cadrages amusants et inventifs. Au final, on peut sincèrement éprouver une certaine sympathie pour sa démarche formelle.

Toute la dernière partie est sur ces derniers points une très bonne illustration. D'ailleurs, je ne résiste pas à l'envie de la poster avec cet article sur mon blog, étant donné qu'elle est accompagnée d'un très long morceau de musique et d'une chanson très marqués par leur époque. Cette séquence à elle seule vaut son pesant de cacahuètes. Elle manifeste toute l'étendue très seventies, un poil mélodramatique, avec des ruptures de ton prononcées d'un cinéma populaire franchement drôle à revoir de nos jours. Je trouve cette longue séquence excellente sur bien des points. Reste à cliquer dessus. Bon voyage!
Alligator
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le 4 mai 2013

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