Si seulement on pouvait sauter les pages de descriptions !
L'immense avantage d'un livre, c'est qu'on peut sauter les descriptions, ou les longs passages philosophico-mords-moi-le-noeud pendant lesquels le narrateur (souvent un professeur de français dans un village wallon) vous parle de son enfance et du décolleté de l'épicière. Au cinéma, à moins de connaître le projectionniste et d'être prêt à endurer les cris des autres spectateurs, il est impossible de sauter les passages inutiles. Et y en a une chiée dans le nouveau film des Wachowski (qui ne sont, rappelons-le, plus "bros", mais "bro and sis") : l'introduction située en Russie, et dont on se moque totalement, le personnage de Sean Bean qui ne sert strictement à rien (y a personne pour le décapiter), l'allégorie des papillons (ceci dit, ça en jette), le kidnapping de la famille de Jupiter par les aliens. Si c'était un livre, on pourrait également sauter tout le personnage joué par Eddie Reydmane, exemple d'école en matière de miscast : voilà un acteur qui a prouvé sa capacité, avec "the theory of everything", d'entrer totalement dans un rôle, mais qui n'a pas compris que, pour jouer un méchant, il ne faut pas entrer dans un rôle, mais en sortir, pour le transcender. N'est-pas Gary Oldman qui veut!
Mais malgré tout, les pages à lire, elles, sont excellentes. Comme d'habitude chez les Wachowski, l'imagination la plus débridée est au pouvoir, les mouvements de caméra sont risqués, mais fluides et lisibles, les effets spéciaux vraiment spéciaux et l'humour suffisamment enfantin pour ne pas être anachronique. Hélas ou heureusement, le scénario souffre du même mal qui, en son temps, avait frappé "the Phanthom Menace" : il est trop fouillu, trop alambiqué et trop "politique" pour le spectateur lambda. On ne peut, sous peine de se faire taper dessus, s'essayer à des critiques des modèles économiques ou politiques dominants dans des films grand-public. C'est interdit. On ne peut même pas dire, du bout des lèvres, que la merde dans laquelle on se démène depuis les années 80 est la conséquence des relations commerciales entre les individus et les pays, et non le produit de considérations purement géopolitiques. Or c'est là le propos, refusé par le public américain, du film : dans un monde d'échanges commerciaux, l'humain est sacrifiable. L'on peut dire que c'est un propos primaire, mais s'il l'était, ils serait sans doute un peu plus répandu...