[Attention Spoilers]


En 2015 les franchises cinématographiques les plus populaires reviennent sur nos écrans : Avengers, James Bond, Star Wars, Mission Impossible... Ils sont tous de retour et devraient truster les dix premières places du box-office annuel.


Le phénomène de sérialisation est d'autant plus effrayant cette année que les studios capitalisent sur la nostalgie des spectateurs (voir la promotion savamment orchestrée de Star Wars Episode VII) et qu'il se double d'une incapacité à soutenir jusque dans les salles des projets pourtant onéreux tels que Blackhat, Jupiter Ascending ou Tomorrowland. Boudés par un public qui pourtant passe le plus clair de son temps à fustiger un trop-plein de séquelles et de remakes, ces films s'effacent au profit de produits lisses et paresseux.


Mad Max Fury Road, contre-exemple magnifique parce qu'avant tout film de réalisateur, ne pèse pourtant pas grand chose face aux Furious 7 et autres Jurassic World. C'est ce dernier qui nous intéresse ici, quatrième volet d'une saga entamée par Steven Spielberg en 1993 avec la maestria que l'on sait. Dans ce nouvel épisode dirigé par Colin Trevorrow, "jeune" cinéaste dont le génial Brad Bird a vanté les mérites à la production et notamment à Kathleen Kennedy, on retrouve beaucoup des questionnements aperçus dans Tomorrowland le mois dernier. Bird étant justement le réalisateur de la superproduction Disney encore à l'affiche (et qu'il faut aller voir), rien de surprenant jusque là... A ceci près que Jurassic World passe son temps à faire la morale à un système auquel il appartient pourtant indéniablement.


Jurassic World est une suite qui ne cesse de nous répéter que les idées qu'elle apporte sont définitivement moins enthousiasmantes que tout ce que l'on voit dans le premier opus. OK mais alors, pourquoi ne pas ressortir directement nos vieilles VHS ou nos Blu-Ray de Jurassic Park ? Dans Jurassic World, des spécimens inédits de dinosaures sont spécialement conçus pour le nouveau parc afin de satisfaire un public jamais rassasié. Ce public, c'est évidemment le public des blockbusters, que l'on gave avec toujours plus d'explosions et de nouveautés superficielles. En lieu et place du passionné John Hammond, une horde de costards-cravates gère désormais le parc. Bien sûr qu'ils se rendent compte que ce qu'ils produisent est ridicule, mais arrêter les frais maintenant n'est pas une option, sinon tout leur système s'effondrerait. De toute façon, c'est inévitable.


L'Indominus Rex, création aberrante, n'est là, nous dit le film, que pour attirer un public que la présence des dinosaures habituels ne suffirait à motiver. Qu'est-on cela dit si un "simple" T-Rex ne suffit pas à nous donner envie de nous précipiter dans les salles (ou dans le parc du film) ? N'a-t-on pas davantage besoin d'une histoire et de beaux personnages que d'un déluge pyrotechnique vide de sens ? L'Indominus Rex, créature totalement numérique, tue sur son passage des brachiosaures (ceux-là même qui nous émerveillaient dans le premier Jurassic Park). L'un d'eux, conçu en animatronique, meurt sous les yeux du personnage de Chris Pratt, un dresseur de raptors à la Indiana Jones. C'est le cinéma hollywoodien d'aujourd'hui qui a tué la magie d'un animatronique imparfait mais magnifique. Le film n'est pourtant pas réactionnaire et Trevorrow jubile de toute évidence derrière ses caméras 3D. Toutefois, plutôt que la surenchère, le réalisateur de Safety Not Guaranteed estime que tous ces effets doivent servir une intrigue, un discours et un projet de mise en scène.


Une bonne partie du film consiste à revenir dans le passé, sur les traces du premier Jurassic Park, pour mieux pouvoir affronter l'Indominus Rex. De ce passé, Trevorrow reprend les raptors et le T-Rex, créatures emblématiques. L'affrontement final, en plan-séquence, n'est rien moins qu'un combat entre deux dinosaures géants comme pourrait en rêver un enfant de six ans dans sa chambre avec ses petites figurines. Il y a d'ailleurs un collectionneur de figurines dans Jurassic World, celui-là même qui porte un vieux t-shirt Jurassic Park. A de nombreuses reprises, ces petits dinosaures en plastique nous sont montrés totalement écrasés par l'immensité d'un écran géant plein de statistiques. Parce que les gens qui s'occupent du parc, tout comme ceux qui financent les films, ne sont plus des rêveurs. Tout ce qui les intéresse est le profit.


Aujourd'hui comme dans le Jurassic Park, on croit pouvoir contrôler les images numériques alors qu'en réalité elles peuvent se retourner contre nous et être utilisées à des fins néfastes. Le danger dans Jurassic World apparait dans le reflet d'une vitre alors qu'il n'est pas visible au premier coup d’œil (la séquence mettant en scène les deux frères face à quatre dinosaures... ou plutôt face à cinq dinosaures). Pour comprendre que les images qui nous sont données à voir ne sont pas toujours aussi innocentes qu'elles en ont l'air, il faut savoir regarder. Pour répondre à ces dangers, le personnage de Chris Pratt et celui de Bryce Dallas Howard (Claire Dearing, qui supervise l'ensemble des activités du parc) utilisent à leur tour des images numériques, celles des raptors et du T-Rex. Mais elles ne sont pas chargées de la même signification.


Twist prévisible en fin de film, on apprend que l'Indominus Rex, qu'on nous vend comme un produit totalement neuf, est en fait du neuf fait avec du vieux. Bref, Hollywood ne fait pas vraiment du neuf, même si chaque nouveau trailer de blockbuster à 200 millions de dollars nous annonce toujours plus de spectacle et de money shots. Un plan à la toute fin de Jurassic World montre le baiser de Chris Pratt et Bryce Dallas Howard à contrejour. Ils ne sont que des silhouettes noires sur fond blanc. Trevorrow nous rappelle qu'un homme et une femme dans un film en noir et blanc sont déjà un grand spectacle pour le spectateur, et que tous les effets visuels du monde ne servent à rien s'ils ne sont pas au service d'une histoire.


Là où le bât blesse, c'est que justement, les personnages de Trevorrow ne sont pas des modèles d'écriture et que finalement, au-delà de cette grille de lecture, Jurassic World n'est clairement pas aussi trépidant que Jurassic Park premier du nom. Il se dégage, à l'exception de quelques moments de mise en scène plutôt brillants, l'impression de voir un film qui parfois ne vaut guère plus que ce qu'il dénonce de manière assez balourde. Contrairement à Tomorrowland de Brad Bird (qui a refusé de réaliser Star Wars Episode VII pour pouvoir aller de l'avant avec un projet original), Colin Trevorrow signe justement le quatrième opus d'une franchise dont le succès au box-office est inévitable. On peut y voir la volonté de subvertir un projet destiné aux masses, mais on peut aussi y voir une volonté de se donner bonne conscience tout en servant au public la soupe habituelle.

Cinefan3000
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le 12 juin 2015

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