Film social, en apparence sur la violence conjugale ( l' introduction est un joli faux semblant de ce qui suit ) colonisé par le thriller de survie, Xavier Legrand pour son premier film retranscrit à l' écran ce qu'il a appris des maîtres, tout ne proposant quelque chose d'assez unique en son genre. .
D' Hitchcock et autres cinéastes du suspens il emprunte les outils pour fabriquer un remarquable thriller de l' attente: on sait qu'un drame va se produire, on le pressent, et tout l'art du film est de repousser au maximum le moment où il va éclater, tel un orage trop longtemps menaçant.
J'ai eu la sensation que le cinéaste voulait nous placer dans la peau d'un Jeff Jefferies, le personnage voyeur incarné par James Stewart dans Fenêtre sur cour. La grande leçon de ce film étant que chacun se fait son film dans sa tête face à une une situation dont il est spectateur. Et agit en conséquence, l'acte se révélant un miroir de nos âmes. Je connus autrefois cette sensation, lors d'un voyage à Florence où le groupe auquel j'appartenais, à l' imagination folle et hystérique imagina avoir vu une scène digne d'un film d 'espionnage ou de gangster ( quelqu'un l'avait filmé au caméscope-engin tombé en désuétude...)Le plus imaginatif de tous, autant dire moi, ne participa pas à ce délire hystérique, tands que les garçons en rajoutait pour affoler les filles....
Bref, après ce petit plaisir de la digression futile, si nous revenions au film, qu'avons-nous vu au juste?
Une oeuvre qui ne prend pas parti, qui n'épouse pas le point de vue d'un personnage me semble-t-il, un film dénué de moralisme, qui n'est pas candidat à passer un soir sur France 2, permettant d'ouvrir un débat sur les violences conjugales.
Il joue sur les apparences. Le type incarné par Denis Ménochet impressionne par son animalité brute, il suscite la crainte dès qu'on l'aperçoit son fusil de chasseur en main.
En face une mère drapée dans sa dignité, qui s'efforce de rester droite, mais dont on comprend assez vite qu'elle cache une obsession traumatique ( ? ) de la fuite, celle de la bête traquée.
Son ex-mari serait-il un *serial killer*pour qu'elle en ai peur comme ça? Au point de ne pas faire état de celle-ci au tribunal, incapable de mettre des mots sur ses maux. Et en face un type qui crève face à ce mur de silence, ce nuage de dissimulation. Mon cerveau certainement tortueux, je vous l'accorde, a un instant imaginé que les apparences étaient trompeuses, cette femme est machiavélique à faire endosser à son ex un rôle qui ne correspond pas à la réalité, pour lui soustraire ses enfants. Vieux réflexe machiste de ma part, possible. Mais ceux qui n'auraient vu dans le type qu'une brute incapable d'exprimer autre chose que de la violence ont eux aussi à mon sens succombé à un autre vieux réflexe, préjugé. Jouer avec les clichés, un grand classique hitchcockien.
Le film malgré sa relative superficialité s'avère riche en terme de mise en scène pure.
Il a aussi emprunté à mon sens aux frères Dardenne et à l' émission*strip tease*, ceux qui connaissent verront de quoi je parle, cette technique de filmer au plus près qui trouve sa pleine efficacité dans les scènes de voiture entre le père et l' enfant. Cette position nous met en empathie totale, nous ressentons ce que ressens le garçon jusqu'à la nausée.
Ce film est donc un drôle d'hybride, fusion entre un cinéma réaliste contemporain filmant au plus près, et de plus vieilles recettes issues du cinéma de genre qui stimulent notre cerveau reptilien.
Il eut sur moi un effet puissant, "malaisant", asphyxiant, une torture à regarder qui s'est conclu en soulagement et silence de mort dans la salle correctement remplie un samedi soir sur la Terre. On sort respirer, oublier, et de fait on oublie rapidement ce film( moi en tout cas), car l' abstraction du thriller a fini par gagner, les personnes derrière les personnages s'effacent au profit de leurs tourments, on veut oublier ce mauvais moment, comme une victime veut oublier son trauma...
Qui revient vous hanter. Ce n'est qu'en échangeant avec d'autres personnes, en lisant quelques critiques que le film est revenu s'insinuer en moi, justifiant cette critique.
Certains désarçonnés par l'absence apparente de parti pris du film me demande "qu'est ce qu'il veut nous dire à force de ne pas avoir de point de vue? "
je répondis avoir retenu que plus la mère fuyait, plus cela le mettait en fureur, j'ai retenu que sa peur ne lui fait pas bien gérer la situation, que sa fille reproduit le même schéma en fuyant sans rien dire, que l' absence de mots sur les maux fait beaucoup de mal, que le type n'est pas un monstre mais qu'il est malade et doit se soigner, que personne ne sait comment l'aider ( il n 'y a qu' à voir l' attitude de ses parents). au final il faut être deux pour fabriquer un drame mais il y a les victimes d'un côté, le bourreau de l'autre.
Une autre personne m'avait dit qu'elle avait trouvé le personnage de la fille inintéressant et inutile, ce qui m'amena à la défendre, alors qu'à l'inverse je stigmatisais le caractère utilitaire de l' enfant, comme rôle majeur dans l'intrigue par sa position entre les Deux.
Une critique me remit en mémoire ce que j'avais trouvé fabuleux sans parvenir à le formaliser, la séquence dans la salle des fêtes avec la bande son, le tour de chant de la fille qui couvre toutes les paroles et sème atrocement le doute sur ce qu'ils se disent ce qui se joue, digne de fenêtre sur cour, parfaite inversion de conversation secrète ou blow up.
Les ingrédients du drame classique se joignirent à mes réflexions, la fatalité du dénouement est un ressort qui marche encore sur nous, bien après l'Antiquité grecque ou le XVIIème siècle.
Ce film est une machine de cinéma assez phénoménale au final. Dont on sort essoré autant que sali un peu par cette horreur.