JUSTE LA FIN DU MONDE (17,4) (Xavier Dolan, CAN, 2016, 95min) :


Cette chronique sombre et oppressante nous présente un dimanche en famille où Louis, jeune auteur à succès revient douze ans après rendre visite à sa famille pour annoncer sa mort. Le jeune réalisateur canadien après le triomphe planétaire de l’éblouissant Mommy (Prix du jury à Cannes en 2014) triomphe à nouveau lors du dernier Festival de Cannes en adaptant très librement la célèbre pièce de Jean-Luc Largarce Juste la fin du monde en modifiant certains dialogues et la fin en supprimant le long monologue (peu enclin pour l’art cinématographique). Le cinéaste signe en 35mm un long métrage mal aimable, rêche, aride, une auscultation de l’impossibilité de communiquer dans une famille dysfonctionnelle. Sa caméra d’emblée présente le jeune homme laissant derrière lui déjà sa jeunesse disparue (main de l’enfant sur ses yeux) puis floue nous prend à la gorge dès que Louis pénètre dans cette maison qu’il n’a pas revue depuis douze ans. La mise en image enferme les visages dans une succession de portraits en plans fixes ou gros plan pour mieux délivrer la vérité dans les non-dits et le regard. La mise en scène en huis clos amplifie le malaise oppressant, où la famille vocifère pour se parler sans s’entendre, une plongée en apnée vers l’abîme, vers la mort du fils prodige en appuyant avant partout où ça fait mal. Un long métrage strié de fêlures où le maniérisme pictural ultra stylisé, les lumières assez sombres, les discussions en clair obscur nous malmènent, nous secouent, nous agacent pour nous fasciner dès le plan suivant. Xavier Dolan enchaîne chaque scène avec intelligence pour mieux nous amener à l’autre dans une mécanique implacable, utilisant la langue particulière de Lagarce à travers des diatribes déstabilisantes d’amour-haine sans aucun ménagement pour le spectateur. Le génie de Dolan se retrouve son ambition démesurée en dehors de l’exercice de style, mais en créant du théâtre plus que filmé, un objet filmique inédit à fleur de maux dans un style baroque au cœur de cette baraque cercueil où les fantômes sont partout imprégnant les âmes vers l’apocalypse, où le temps file vers l’inéluctable. Malgré quelques travers redondants où les morceaux pop (Camille, O-Zone, Blink-182, Moby…) viennent de façon moins pertinente que dans ces œuvres précédentes, nous sortir de cet enfermement mental en apportant un peu de fraîcheur et de lien, l’ambition radicale et artistique s’avère assez impressionnante. Un suspense mortifère romanesque vient ponctuer les nombreux moments de tensions profondément étouffants et les silences pesants, ne provoquant pas la même émotion que le tsunami émotionnel «solaire» Mommy. Cette fois ci l’émotion sous-jacente nous chavire par des scènes miraculeuses sur le fil du regard, par le biais d’un flash-back sur la jeunesse de Louis, dans un serrement d’une main, par le biais d’une étreinte maternelle émouvante, où explose littéralement dans la colère viscérale d’un grand frère en mal d’amour alors que l’orage éclate. Dolan ausculte de façon chirurgicale tous les tourments lors de repas dans le bruit et la fureur où dans des moments par paires où la parole touche du doigt la vérité. Et comme depuis le début de sa filmographie il démontre qu’il est un remarquable directeur d’acteurs emmenant son casting 5 étoiles dans des compositions assez sidérantes : la fragilité touchante Gaspar Uliel (dont le visage se décompose au fur et à mesure du film, comme déjà happé par le ciel avec ces nombreux plans en plongées dont lui seul bénéficie), l’incroyable Nathalie Baye héroïne «almodovarienne» totalement exubérante et émouvante, une Léa Seydoux juste et étonnante en rebelle, la formidable Marion Cotillard (seul personnage ayant compris dans un déchirant regard la venue du fils) en maladroit petit oiseau pris dans cette cage rageuse, et le viscéral Vincent Cassel en névrosé ne cessant d’être au bord la rupture pour se faire remarquer et cacher ses blessures intimes une parfaite alchimie du chaos. Pour accompagner ce long dimanche de déflagration outre les tubes pop, la musique immersive et toute en lyrisme du prestigieux Gabriel Yared chef d’orchestre de cette désunion familiale. Venez confronter votre intime par le biais de ce chœur discordant dans Juste la fin du monde. Éprouvant. Noir. Dérangeant. Magnifique. Poignant.

seb2046
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le 21 sept. 2016

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