Juste. adj,n.m et adv: avec exactitude / seulement

Je n'ai jusqu'ici vu aucun film de Xavier Dolan. J'en ai entendu parler, on m'en a parler.


Quand on fait une critique, on, enfin je, il arrive souvent qu'on parte de sa propre expérience, je veux dire qu'on, que chacune a - possède est un verbe plus riche et plus intéressant, donc, je vais corriger et l'employer plutôt qu'avoir - que chacun possède un angle, un point de vue ... une entrée - c'est mieux et c'est plus juste ça, une entrée - différente dans le film qu'il voit puis qu'il critique. Qu'ensuite il critique, j'ai pas dit puisque, je ... enfin...


La première fois que j'ai croisé Juste la fin du monde, combien de camarades de promotion d'agrégation peuvent en témoigner, mon dieu - quoique Dieu n'ait rien à voir là-dedans - la première fois que j'ai croisé Juste la fin du monde c'était lors de ma première tentative d'agrégation. Mais ça vous le savez, je l'ai déjà dit, c'est vrai. Alors...bon. Cette année là, j'ai découvert ce dramaturge méconnu et pourtant si important qu'est Jean-Luc Lagarce. Personne ne pensait que sa pièce au style fragmentaire, aux fautes orthographiques intentionnelles, au verbage bredouillant constamment en suspens tomberait à l'écrit. Ou en grammaire alors, mais pas... Et, lorsqu'on a retourné chacun sa feuille de dissertation générale, alors, d'un coup d'oeil, on s'est regardé et ... "d'un coup d'oeil, on s'est regardé", c'est idiot comme formulation. Enfin, on s'est regardé les uns les autres. Désespérés. C'était juste la fin du monde. Je veux dire, on pourrait se méprendre - à moins que cette erreur soit elle-même intentionnelle comme dans le texte de Lagarce, à moins que cette critique soit un pastiche raté du style de Lagarce - je veux dire que c'était Juste la fin du monde. Enfin, c'était juste la fin du monde aussi ... quand j'y repense ...


C'est mon professeur de linguistique, Monsieur Pierre-Johann Laffitte qui a du être surpris cette année là ... oui, c'est vrai, "Laffitte", ça fait champagne mais ... lui, son délire, enfin sa passion - ne sacrifions pas toujours au parler jeune! J'en vois qui considère leurs élèves qui écrivent au sujet de La Cigale et la fourmi que c'est un texte "connus et qui est folie à écouter" et qui s'écrient, pâmés, que la grammaire de la phrase, la syntaxe, ils veulent dire, est correcte et que cette argumentation complète relève de la poésie... A lire Lagarce, on pourrait parfois s'en convaincre...


Alors, comme je voulais le dire, avant cette aparté, ou plutôt cette digression, enfin, vous avez compris, lorsque j'ai appris que Xavier Dolan au grand nom, que je connaissais - comme tout le monde je pense, c'est idiot de dire ça, mais tout le monde le dit, alors... - pour Mommy, adaptait cette pièce si particulière, lorsque j'ai vu aussi que Vincent Cassel et Léa Seydoux (La Belle et la Bête), Nathalie Baye (La Balance, Attrape-moi si tu peux), Marion Cotillard (La Môme, Inception) et Gaspard Ulliel (Un long dimanche de fiançailles, Hannibal Lecter: les origines) jouaient dedans, je me suis étonné et, comme c'est souvent le cas, j'ai voulu voir ce que ça donnait. On dit aussi parfois "ce que ça rendait". Bref, finalement, je l'ai vu. Et du coup, j'ai aussi vu mon premier Dolan.


J'y suis allé avec deux amies qui n'avaient pas lu la pièce mais qui avaient déjà vu du Dolan. Parce qu'elle n'ont pas vu Dolan lui-même. Ou alors, elles ne me l'ont pas dit. Elles ont apprécié. Elles ont admiré ses tentatives, ses bravoures de cinéaste. Le fait qu'il ait osé des choses, en fait. Mais moi, je connais pas Dolan. Moi, je connais Lagarce. Donc, je n'ai pas - pas vraiment et ce n'est pas un jugement et puis ...Je ne sais pas - je n'ai pas, dis-je, je n'ai pas vu le même film qu'elles. On était assez d'accord quant à notre réception, je pense. Moi, j'ai vu du Lagarce, librement adapté.


Enfin, "librement adapté"... il y a "librement adapté" et "librement adapté". Et puis, un roman, une nouvelle, un conte ou une pièce - et là, hélas, c'est une pièce - au cinéma, ce n'est pas vraiment une adaptation, c'est une réécriture. Donc, c'est toujours essentiellement libre, comme on change de média. Tout le monde n'est pas forcément d'accord, c'est un thème qui fait débat, on pense ce qu'on en pense et autres banalités du genre. Mais endroit moi ai-je créance, comme dit Guillaume. Cherchez pas, il est mort. Et il ne connaît ni Lagarce ni Dolan. Et il n'a interprété ni Zola ni Cézanne.


En fait, Juste la fin du monde, le film j'entends, reprend bien les dialogues très oraux de la pièce. Mais comme la pièce date de 1995 - et même si certains et certaines, car il ne faut pas oublier les femmes, sinon c'est du sexisme, lui prêtent une nostalgie, ce qui n'est pas faux, hein ! des années 90 - comme la pièce date de 1995 - 1990, en réalité, car 1995, c'est la première représentation - donc, comme la première représentation de la pièce date d'il y a bien vingt ans, Xavier Dolan a décidé de moderniser les paroles, oh! pas grand chose, hein... "taxi" devient "taco" ... on rajoute des "Arrête de faire chier" pour que la Belle et la Bête puisse jouer les frères et soeurs en querelles ... on comble les blancs, les trous, les indécisions du texte, ce qui faisait son charme absolument pas théâtral. Mais...Et on comble aussi avec un impeccable jeu de regards qui disent beaucoup. De gestes aussi.


Faut dire, force est d'avouer, parce que c'est mieux dit comme ça, enfin ... ça change, en fonction du temps, des époques ... Faut avouer qu'il y a un jeu splendide esthétique dans le film. Un jeu de flous pour signifier ce que voit celui qui part déjà. Comme dans le générique - un drôle de mot pour parler du passage où l'on pose les crédits sur l'écran au début du film, comme si cela générait, faisait naître le film. Un jeu de flous en alternance - c'est moche comme expression, ça fait entreprise, ça fait professionnel - un jeu de flous alternés. Comme dans la scène où Louis et Antoine - ce sont les personnages de Gaspard Ulliel et Vincent Cassel - tentent d'échanger quelques mots. Alors, celui parle devient net, l'autre flou. Et vice versa. Une caméra proche des personnages, cloîtrée entre quatre murs ou enfermée dans l'habitacle d'une voiture. Pour rendre l'atmosphère étouffante. Pour rendre le spectateur voyeur, un passager clandestin poussé de force dans cette inimité par un réalisateur pervers et non moins voyeur.


Les rôles sont bien distribués. J'ai tout de suite songé que Vincent Cassel serait Antoine. Antoine, le frère susceptible, anti-philosophe, anti-tout-ce-qui réfléchit, qui se fâche dès qu'on fait allusion à lui. Le rôle est fait pour sa gamme de jeu, digne de La Haine, en mieux. Il s'agit là d'un des meilleurs rôles de sa carrière. Il sert la volonté vulgarisatrice de Dolan. Il porte, il rend sensible le rôle complexe de la pièce. Gaspard Ulliel est bien trouvé aussi. Mais son rôle est aisé. Marion Cotillard continue à jouer les belles apparemment idiotes et qui en savent plus long...ça se dit? Et Léa Seydoux joue les bad girls, après les Bond girls pourquoi pas ... Ce n'est pas comme ça que j'imaginais Suzanne. Mais passons....Nathalie Baye est méconnaissable, grimée comme un clown triste, une Stella Spotlight mais apporte une jeunesse d'esprit à son personnage que j'attribuais à l'âge du personnage. Intéressant. Une propension à la joie digne d'une de mes profs de latin...


Le problème, le défaut, l'écueil ... mais c'est aussi en soi une qualité ... alors, je ne sais pas comment, par quel mot ... Dolan s'éloigne de Lagarce pour faire du Proust. Louis devient Swann, recherche des madeleines dans les matelas, à défaut de les chercher chez Léa, mais là je m'égare ... comme Dolan quand il ajoute des scènes du passé très stéréotypées - très Wes Craven pour les amours interdits de Louis, l'amant venant et repartant par la fenêtre, à l'américaine - et très musicales - surprenant avec Dragostea din tei du groupe moldave O-Zone dont le refrain célèbre imite le style fragmentaire de Lagarce et qui sert ici l'évocation prenante d'un passé ensoleillé et heureux. Un choix mitigé, enfin ... bizarre... je pense, c'est une question de point de vue. Bon et mauvais à la fois. J'ai trouvé mitigé pour le dire ... y'a peut-être un autre mot pour le dire ...


Dolan fait du Proust lorsque les paroles même du personnage d'Antoine rappelle à l'esprit de Lagarce. en se moquant du vent qui a bouleversé la maison pourrie ... des paroles de ce genre, je ne me souviens plus très bien... Le vent ou le temps... Parce que Dolan se change aussi en Bossuet, en Chassignet ...il vire baroque pour dire simple... Mais c'est vrai que dit comme ça, ça n'est pas plus simple. Le temps représenté par une horloge, tout droit sortie des Vieux de Jacques Brel "Qui ronronne au salon, qui dit oui, qui dit non et puis, qui nous attend". La mort, par le coucou qui sort fantastiquement de l'horloge pour venir mourir à terre sur le dos, plus humain que les humains du film ou de la pièce. C'est très beau, hein, mais c'est très peu Lagarce. Parce que Juste la fin du monde, c'est JUSTE la fin du monde. C'est le film de Dolan mais le pathos plus discret, en litote comme on dit dans le jargon. Le film de Dolan est un crescendo dont l'acmé est la scène finale sous tension, larmoyante et pleine de fureur. Là où Lagarce me faisait l'effet d'un haussement d'épaule pour dire "raté !" en réponse au prologue pourtant bien joué dans le film. Prologue qui livre à l'affiche son image.


Voilà. J'ai écrit cette critique pour vous dire ce que j'avais pensé de ce film. Il est bien. Il est pas bien. Il peut être vu par un connaisseur de Dolan ou par un lecteur de Lagarce. Il peut être vu par un autre. C'est un huis-clos, pesant comme souvent, qui traite de l'indicible, des affinités non élues d'êtres qui voudraient être proches et ne le sont pas. C'est un texte très implicite devenu plus explicite dans le film. Ou très implicite aussi, mais par instant. Et autrement. Dolan fait oublier que c'est un pièce, je pense.
Voilà. Je crois que je ne sais pas dire ce que j'ai pensé du film. J'ai essayé. Mais le dire avec la voix, les mots, l'inquiétude verbale, linguistique, d'un personnage de Lagarce ne permet pas de faire mieux. Ou pire.


C'est juste ce que j'avais à dire et tant pis pour ceux qui ne me trouveront pas juste.

Frenhofer
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le 2 oct. 2016

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