Le cinéma de Dolan est mort, vive le cinéma !

Qu'il est difficile de s'avouer déçue par un cinéaste qu'on admire beaucoup et dont l'oeuvre a su nous éblouir, nous toucher, nous transporter. Oui, je l'écris, ce dernier Dolan m'a profondément agacée, désolée et déçue donc. Peut-être est-on plus sévère avec ceux qu'on aime. C'est donc vraiment dans le moindre détail que je suis allée scruter ce film, pour lui trouver des qualités ou surtout analyser ce qui ne marche pas, qui manque. Mais il faut bien l'avouer, c'est avant tout l'ennui qui m'a fait être "contre" ce film (car c'est la grande mode du pour/contre en ce moment). Mais l'ennui n'est pas un argument suffisant. Disons que j'ai aussi eu l'impression que Dolan se caricaturait, sans parvenir à émouvoir comme autrefois. Pour exemple, quand Louis prend sa mère dans ses bras pour sentir son parfum et que la scène dure interminablement avec une musique en fond sonore, je n'ai pas ressenti la spontanéité d'autrefois. Quand le fils de Mommy embrassait sa mère en mettant une main devant sa bouche, dansait avec elle, la fraîcheur se faisait ressentir. De même que le couple version amour impossible de Laurence Anyways parvenait à toucher par le jeu subtil des acteurs alors que les personnages étaient volontiers outranciers. La chose qui "choque" le plus dans Juste la fin du monde est donc une impression de manque de sincérité.


La démarche est d'abord désolante : adapter une pièce en huis clos dans ce qui ressemble le moins du monde à du cinéma : personnage très figés dans des représentations qui n'évoluent que peu et cette impossibilité de parler retranscrite par une volonté de "faire cinéma" avec du théâtre qui frise le ridicule dans des suspensions/ralentis qui durent, durent, mais finissent par ne plus rien signifier. D'autant que l'accumulation d'une musique larmoyante (disons du violon) gâche la plupart des effets émotionnels tout autant que des dialogues bien écrits qui sont dits avec frénésie ou évitement, une des plus grande force d'un film qui parle de l'impossibilité de dire sa vérité, de s'exprimer. A ce titre, les jeux de regards entre Catherine (Marion Cotillard) et Louis (Gaspard Uliel) auraient pu être forts s'ils n'étaient pas (comme beaucoup d’éléments du film) sur-signifiants. Ainsi, l'émotion est encore une fois trop balisée. Voilà pourquoi ça ne marche pas : tout paraît artificiel, fabriqué. On pourrait me renvoyer l'idée que c'est le cas de beaucoup des films de Dolan jusqu'ici. Ok, mais avant il y avait un sujet, de la force, du corps. Ici, tout semble être comme inhibé. Dolan laisse de côté le sujet de la pièce, l'enjeu du personnage, sa souffrance ne sont donc plus présents, ce qui retire toute la force du projet. Ici, le sida passe à la trappe, et l'homosexualité du personnage aussi. Que reste-t-il ? Un fantôme joué par un Gaspard Uliel peu inspiré qui n'offre pas grand chose. Le reste du casting est connu, livré en grande pompe, mais ne surprend pas. Même le seul personnage capable d'évolution : le frère, Antoine, joué par Vincent Cassel, ne parvient pas à émouvoir, tant l'acteur joue l'habituel répertoire. Le personnage de la mère semble tomber, lui aussi, à plat, avec une actrice engoncée dans des habits colorés, une fougue certaine que lui offre Nathalie Baye, mais ça n'est que du paraître, derrière le vide domine.


C'est bien triste de se dire que peut-être Dolan est arrivé au bout de ses tripes et qu'il a voul, pour une fois, mûrir, s'écouter penser et faire un film trop fabriqué. Finalement, cette phrase en exergue de ma critique - "Le cinéma de Xavier Dolan est mort, vive le cinéma" -est trop forte. Dolan reste un cinéaste bourré de talent, une voix forte dans un monde si brutal, une voix qui disait autrefois que tout est possible, qu'on peut se libérer (même dans la mort), se réinventer. Là, c'est morbide. Peut-être que je refuse de grandir avec le réalisateur, mais j'aimerai retrouver sa spontanéité de mec fauché de ses débuts, ses actrices pépites et fortes. Je ne veux pas qu'il cherche à toucher les étoiles (américaines, qu'il est en train de filmer aujourd'hui), mais qu'il retourne à ses premiers amours : ses petites gens qui s'aiment sans pouvoir se le dire - "tous mes films parlent d'un amour impossible" - et dont on n'avait pas l'impression autrefois que Dolan les filmait en les méprisant presque. Quand il les fait danser dans la cuisine sur un tube récent - scène trop courte - on ne ressent plus la force que pouvait entraîner le héros de Mommy. Juste cette impression de donner à voir, de sur-signifier.


Oiseaux pris au piège, coucous qui n'évoluent pas et qui sortent à chaque heure de l'horloge, le constat est triste. Un film qui ressemble presque à une oeuvre qui aurait été faite par un mauvais imitateur de Dolan. Ce même Dolan qui voulait faire une pause dans sa carrière, qui est loin d'être finie, pour se poser, fuire la frénésie. Prions pour qu'il se repose enfin et revienne tout prêt de nouveau à placer ses tripes sur la table et derrière la caméra !!

eloch

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