Oui cette fois-ci c'est définitif, on pouvait s'en douter avec Mommy, mais là cela nous tombe dessus de façon plus qu'évidente. Xavier Dolan est tout simplement un prodige et un génie.


Juste la fin du monde est purement une demonstration de la capacité de Dolan à évoluer et à ne pas se reposer sur ses acquis. Pour ses précédents films, il y avait une véritable dimension organique qui en ressortait, surtout sur Mommy et Tom à la Ferme. Dolan avait ainsi déjà prouvé qu'il savait faire passer tout ce qu'il voulait par l'image sans avoir besoin de dialogue. Ici au contraire, il axe toute sa mise en scène (ou presque) autour de la narration intra-diégétique et donc les dialogues. Il pense chacun de ses plans en fonction du texte et des phrases de ses personnages.


Mais attention il ne se renie pas pour autant, on a toujours sa patte, son style qui transpire de la pellicule, le travail de la lumière et la composition du cadre sont toujours sublimes, quelques moments de mise en scène purement figuratifs (on y reviendra), et bien sûr la travail sur la musique, autant sur le montage en rythme (j'adore le coucou) autant que sur le rôle de la musique au sein de la narration. Et bien évidement on retrouve son sujet de prédilection, le rapport mère-fils, qui est présent mais pas central.


Une mise en scène autour des dialogues donc. Dolan a réussit à combiner les qualificatifs de film qui se voit et qui s'entend. Il laisse de l'espace à ces dialogues et ne les fait pas surgir de façon trop abrupte. La mise en scène conditionne à la nature de ce qui va être dit. Des points de vue quasiment voyeurs pour les dialogues entre deux personnages qui s'isolent des autres. Un point au dessus de l'épaule, derrière un personnages, sur une banquette arrière d'une voiture, ou encore comme le montre le tout premier plan du film, à travers de minces fentes ou interstices qui nous permettent de voir sans être vu. Mais il peut aussi nous mettre en face du personnages, de façon à qu'il ne s'adresse qu'à nous. Les personnages se disent les choses en face et nous le disent en face. On est donc mal à l'aise mais prévenu de la violence (ou future violence) de la scène.
Il travaille également sur la profondeur de champs, passant d'un personnage à l'autre sans cut et par simple mise au point. Par se procédé simple, il évite le presque nécéssaire champ/contre-champ et se permet de fluidifier son récit, simple mais efficace.


Avec une telle importance donnée aux textes, il faut évidement avoir des personnages très travaillés. Et là, le texte de Lagarde est quasiment parfait du point de vue de la construction de chacun des protagonistes. Il faut bien sûr parler de ce jeune homme, venu annoncé sa mort, dont on ne sait finalement rien. Il est parti certes, mais pourquoi ? Certain me parleront de son homosexualité, d'autres de son métier, mais finalement on ne le sera pas. Un frère torturé, simple et violent autant dans son élocution que dans ses sentiments. Une soeur en pleine construction, qui se ment à elle-même et qui ne sait finalement pas plus de son frère que d'elle. Une mère débordant d'amour, mais incapable de le montrer comme il le faut. Et une belle soeur beaucoup trop gentille et passive qui ne sait pas comment appartenir à cette famille. Dans le texte de Lagarde et la réécriture de Dolan, on sent un véritable amour pour les personnages, et une vraie conscience de ce qu'il faut et ne faut pas dire, laisser au spectateurs le soin de projeter lui-même ce qu'il veut voir à travers ses personnages. Un exemple avec le frère et son poing (en fin de film), il se bat beaucoup ? ll bat sa femme et ses enfants ? Il frappe le mur pour se calmer ? (Je prends celle là moi) ou bien il projette ce qu'il ressent en frappant ? Bref, ce que je veux démontrer ici, c'est la force qu'à Dolan de dire et montrer seulement ce qu'il faut, et sans trop en dire pour ne pas catégoriser les personnages.


La projection que permet Dolan est aussi une volonté de sa part d'ancrer son film dans le quotidien et la banalité. Il y a une véritable dimension universelle dans ce film. Certes la raison de la réunion en famille est grave et heureusement plutôt rare, mais la mère n'a de cesse de le répéter. Ce n'est qu'un dimanche en famille. Et de fait qui n'a pas connu un dimanche en famille qui vire finalement à la dispute pour un oui ou pour un non. Et qui peut finir, comme ce film, sur une apocalypse familiale.
La travail sur la musique (surtout une) qui fait rentrer ce film dans le quotidien de chacun, ne peut que porter le film vers cette dimension. Le localisation peu développée ne fait que renforcer ce sujet. La temporalité est bien floue dans ce film, chacun s'y reconnaitra, peu importe son âge. La famille était, est et sera toujours la famille, voilà en message du film.


Le flou aussi est très présent (What a transition !!). Il vient servir tout ce récit. J'ai déjà parlé des mises au point, qui induisent forcément un flou dans l'image, mais il y a un vrai travail dessus. Cela m'a sauté au yeux lors de l'arrivée dans la maison. Le personnage de Léa Seydoux voit son frère flou, tel qu'il est dans ses souvenirs, et fait ainsi la mis au point de son esprit pour gravé son visage dans son cerveau comme il sera gravé sur la pellicule (oui c'est surement du numérique, mais c'est une figure de rhétorique !). Elle dira elle-même assez vite, qu'elle ne se souvenait plus de lui.


Le flou sert aussi à installer ces moments figuratifs que j'évoquais plus haut. Il s'agit des moments en flash back présentant des souvenirs. Je crois que je n'ai jamais vu une représentation aussi belle des souvenirs au cinéma. La construction en plan court, presque en photographie, un étalonnage plus poussé, et ceux-ci arrivants et évoqués par une musique, une odeur, un ressenti. Tout cela sonne vrai et donc très touchant.


Le seul personnage dont les souvenirs sont montrés est celui de Louis, car c'est le seul pour lequel la temporalité importe. Ses actions sont inscrites dans le temps, il regarde sa montre, le seul pour lequel on parle de temps : son âge, et la durée de son absence. Et donc le seul qui peut se souvenir distinctement de son passé. La mère parle bien des dimanches mais de façon générale, rien de bien précis. Et cela est dû à la proximité de son départ, la fin de son monde et pourquoi pas du leur. Temporalité bien exprimé dans la toute dernière scène du film, qui je ne dévoilerai pas mais qui est d'une pureté et d'une symbolique magnifiques.


Enfin, Dolan laisse évidement beaucoup de place à ses acteurs. Et il le fallait. Son travail au-delà de la direction à été surtout, je pense, d'égaliser la place de chacun au sein du film. Au vue de la diversité des personnages et du casting, il le fallait absolument. Le film tient ici sur un fil puisqu'aucun acteur ne prend le dessus sur les autres. Léa Seydoux est toujours juste dans le rôle de la soeur, elle joue parfaitement son rôle d'adulte encore adolescent, elle semble toujours au bord de la rebellion. Vincent Cassel arrive à être touchant derrière une apparente rudesse.
Mais surtout il faut parler des trois autres, Nathalie Baye qui joue magnifiquement le rôle de cette mère qui semble simple mais qui possède plusieurs facettes. Cette scène avec Gaspard Uliel en privé est certainement la scène la plus touchante du film. Gaspard Uliel donc qui irradie le film par son regard et sa voix, il fait tout passé par le jeu plus que par le texte, c'est lui qui doit en avoir le moins par ailleurs. Je pense que les yeux, et surtout les siens ont dû être très travaillés autant sur le tournage qu'au montage pour donner un tel ressenti.
Mais surtout, surtout, celle qui explose littéralement chaque scène est Marion Cotillard. Elle est exceptionnelle de banalité dans ce film. Elle arrive parfaitement à être n'importe qui. Mais malgré tout elle fait preuve d'une telle force lorsqu'il le faut. Notamment pour dire à Louis qu'il doit parler aux autres et non à elle, elle qui ne se sent pas de la famille, et qui sait le montrer. Dolan a dû le comprendre, puisqu'ils se retrouvent souvent à deux, eux qui appartiennent le moins à ce monde.


En résumé, il faut absolument voir ce film. Dans le monde du cinéma francophone, de tels films sont rares, il faut en profiter. Sur ce je m'en vais planifier ma prochaine séance, il faut que je le revois absolument.

Hugo_Picq
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le 22 sept. 2016

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Hugo Picq

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