Kadaver
4.8
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Film de Jarand Breian Herdal (2020)

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En premier lieu enthousiaste par ce qui s’annonçait comme une critique debordienne du spectacle ambiant dans un film produit par la société la plus spectaculaire qui existe de nos jours dans le milieu de l’audiovisuel, j’ai été vite refroidi malgré une première moitié correcte d’un scérario qui fût malheureusement prévisible dès la lecture du résumé ou même dès les premières secondes de l’histoire (une espèce d’intro lugubre que l’on retrouve, sans surprise, plus tard dans le dénouement du film). Dans la première partie, les thèmes traités sont directement liés avec celui de la représentation : les différents niveaux de réalités et la théâtralisation qui confonde le vrai et le faux, la mimesis et l’authenticité. Et ça c’est tout à fait passionnant, le spectateur peut voir tous les niveaux de réalité et c’est à lui de discerner, d’anticiper, d’interpréter ce qui sera réel et ce qui relèvera de la mise en scène. Ainsi, on retrouve plusieurs références au théâtre shakespearien, la scène est partout et on pourrait même aller plus loin et reprendre la citation originale : « Le monde entier est un théâtre, Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. » Dès lors nous ne pouvons plus faire une distinction nette et précise entre les acteurs et les spectateurs, qui par un processus dialectique, se confondent parfaitement.

En second lieu, j’ai été déçu par le jeu d’acteur très médiocre de la part de l’intégralité des acteurs, alors évidemment c’est parfois voulu, les acteurs-complices, devant jouer la comédie pour simuler du théâtre, autrement dit simuler une simulation, relevant directement d’une idée méta qui permet d’ajouter encore des niveaux de réalités à ceux initiaux. Mais à d’autres moment le jeu d’acteur est juste nul, sans saveur, parfois gênant (car vu et revu) et stéréotypé, c’est le cas pour l’antagoniste comme pour la protagoniste. On retrouve l’empreinte de La Plateforme (2019) sur certains aspects : des pauvres choisis pour être les participants d’un jeu centré sur une critique idéaliste de la lutte des classes. Car oui, si l’antagoniste au nom oubliable est un bourgeois paupérisé par une famine sans précédent, les spectateurs (et donc acteurs) sont des prolos qui n’ont rien à se mettre sous la dent et n’ont pas d’autres choix que d’essayer de s’en sortir en saisissant les occasions qu’ils peuvent, même si celles-ci sont très mal introduites et sentent le bourbier à des kilomètres à la ronde. Passons les autres clichés qui subordonnent la production norvégienne pour en venir à des scènes mal construites comme celle où la protagoniste met un masque in extremis à un acteur pour qu’il se fasse tuer à sa place ; et bien c’est mal foutu ; trop long, le boucher a déjà vu (et normalement compris) la supercherie, idem pour la scène où la mère suit pendant une bonne partie les acteurs sans aucune discrétion ; mais passons toutes les autres scènes mal ajustées, il y aurait trop à redire et le but n’est pas d’en faire une analyse complète.

Le film s’inspire probablement de Delicatessen (Jean-Pierre Jeunet, 1991) sur le fond et du Diabolique Docteur Mabuse (Fritz Lang, 1961) sur la forme. En effet, on retrouve le cannibalisme pratiqué en secret dans un lieu « ordinaire » mais surtout la surveillance des sujets à travers les murs qui rappelle forcément ce chef-d’œuvre de Fritz Lang. Enfin, si l’effet de réel est délaissé au profit du fusil de Tchékhov (la boucle d’oreille), on remarque que la conception théâtrale est davantage baroque que contemporaine et que malgré le thème du spectacle abordé inévitablement, ce film ne s’en affranchit nullement et reste une énième marchandise, sans aura, destiné à la consommation rapide plutôt qu’à la contemplation.

Créée

le 24 janv. 2024

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