Souvenons nous des années 70... Cette période où tout film d'arts martiaux qui sortait sur les écrans (des salles de quartier bien sur !) se voyait labellisé comme un film de Karaté. Une belle simplification des choses, liée à la célébrité de l'art martial Japonais qui phagocytait les autres arts martiaux existants à son profit, et ne s'appliquait en rien à la très grande majorité de ces longs métrages en provenance de Hong Kong ou Taiwan.
Mais il faut dire que, paradoxalement, le Japon s'est assez peu penché sur son patrimoine martial. Alors que le Chambara est un genre aux œuvres innombrables, les films de Karaté se comptent en petit nombre. L'homme qui a le plus œuvré dans ce "mini genre", c'est l'incontournable Sonny Chiba. Bien qu'il soit gymnaste de formation, Chiba ne perdit pas de temps pour pratiquer les arts martiaux et se spécialisera dans les disciplines nippones les plus emblématiques : Le judo, le ju jitsu, le kendo, l'aikido et bien sur le Karaté. La série des Streetfighter est l'œuvre la plus célèbre du Bruce Lee Japonais malgré (ou plutôt, à cause) ces débordements bis. Mais on peut dénombrer d'autres films martiaux dans la filmographie du grand Shinichi comme l'excellent Gekitotsu! Aikidô, Shoryouji Kempo ou la trilogie Karaté (Karate Bullfighter, Karate Bearfighter et Karate for Life) .
Cette trilogie se veut l'adaptation filmique de la vie du légendaire Mas Oyama, fondateur du Karaté Kyokushinkai (une forme de Karaté reconnue pour sa dureté) et authentique mentor martial de Chiba. L'homme ayant eu une vie pour le moins agité, il y avait matière à une œuvre ambitieuse et intéressante. D'autant plus que dans les années 70, le cinéma Japonais conservait une impressionnante qualité technique. Mais ces belles intentions doivent être tempérées en précisant qu'il ne s'agit pas d'une biographie directe de la vie d'Oyama mais de l'adaptation d'un manga retraçant à sa façon (comprendre de manière très exagérée) la vie du légendaire artiste martial. On comprend mieux pourquoi les films de la trilogie s'avèrent si décousus...

Karate Bullfighter, premier volet de la trilogie, est le film le plus satisfaisant de la série. Le personnage d'Oyama nous est introduit par le biais de deux séquences emblématiques. Dans la première, on le voit participer à une compétition de Karaté où il met impitoyablement en pièce chacun de ses adversaires. Dans la seconde, juste après le tournoi en question, il se saoule comme un âne et montre son asocialité chronique. Tout le personnage est défini par ces deux séquences. Mas Oyame version Chiba est un maître de Karaté quasi invincible mais asociale et à la moralité douteuse. Malheureusement, Kazuhiko Yamaguchi, réalisateur attitré de la série, ne saura jamais vraiment profiter du potentiel que représente cette intéressante dichotomie du personnage, préférant simplifier au maximum les questionnements moraux. C'est particulièrement visible à travers la première rencontre entre Oyama et Chiyako. Leur romance s'établit en effet sur un viol (!), traité par Yamaguchi comme un simple malentendu pas si grave que ça. Dans le même registre, Fukasaku avait donné de biens meilleurs résultats dans des films comme Okita le Pourfendeur ou Le Cimetière de la Morale. Cette maladresse dans le développement du personnage se retrouvera tout le long du film comme durant ce passage où l'élève d'Oyama perd la boule. Le maître ne remettra même pas en cause sa méthode d'enseignement...

Un des problèmes majeurs de Karate Bullfighter provient en grande partie de son origine mangaesque. Le film n'a pas vraiment de fil directeur et consiste en plusieurs historiettes collées les unes aux autres sans qu'on puisse sentir une réelle évolution dans la personnalité du fondateur du Kyokushinkai. Ainsi, le passage où Oyama tue un taureau (ce que le vrai Oyama a effectivement fait) n'a pas le moindre lien avec le reste du film. La séquence nous est livrée telle qu'elle, essentiellement pour livrer un spectacle gentiment bis (quoique la fin de la séquence puisse heurter les amis des bêtes). Karate Bullfighter a pourtant certaines qualités. Si son récit est trop décousu, le thème de certains des "sketchs" n'est pas toujours inintéressant. La partie avec l'apprentie d'Oyama (déjà évoqué un peu plus haut) permet de signer quelques jolies séquences martiales comme ce beau Kata sur la plage. On a également droit à une amorce de relation maître/élève touchante. Quel dommage que Yamaguchi n'aille jamais plus loin dans le développement de ces personnages (Oyama en tête)... L'histoire la plus intéressante du film nous est contée dans le dernier tiers de Karate Bullfighter. Réalisant enfin les conséquences de ses actes (à travers le désespoir d'une femme et d'un enfant), Oyama cherche son repentir en abandonnant sa pratique martiale pour se faire paysan au coté de la veuve et son fils. Le film prend alors une approche quasi Musashienne (être un maître martial n'est pas juste être capable de tuer) qui permet d'approfondir un peu le personnage. Evidemment, Yamaguchi n'ira pas jusqu'au bout de son idée et la remise en cause d'Oyama ne sera que passagère mais, dans le cadre des limites du film, c'est déjà bien d'avoir eu ce petit passage plus introspectif (les deux autres volets n'essaieront même pas).

Vu que le scénario de Karate Bullfighter est loin d'être merveilleux, on peut au moins espérer que les scènes de Karaté soient réussies. A ce niveau, Chiba et Yamaguchi remplissent leurs parts du contrat. La star Japonaise est parfaitement convaincante en maître de Karaté. Quasiment jamais doublé, Sonny démontre une belle technicité avec des coups sans fioritures et puissants, exactement le style propre au Karaté. Son jeu concentré achève d'en faire un Oyama tout ce qu'il y a de crédible. Le réalisateur de son coté est sous influence du style à la mode dans le Japon des années 70 : Il use et abuse de caméras tremblotantes, d'effets de montages et autres image arrêtés. Une surenchère d'effets un peu trop artificiel mais qui parvient tout de même à rester lisible. Yamaguchi se révèlera même assez inspiré pour son final au concept (encore une fois !) Musashien avec un Oyama affrontant tout une école dans un champ aux hautes herbes. L'artiste martial doit tirer avantage de son environnement, économiser son souffle et faire preuve aussi bien de stratégie que de force. Belle séquence qui permet d'achever Karate Bullfighter sur une relative bonne impression. Si on a pas eu droit à la biographie ambitieuse à laquelle on pouvait s'attendre, on a au moins eu droit à un bon petit spectacle divertissant.

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le 11 janv. 2011

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Palplathune

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