L'espagnol Miguel Angel Vivas a centrée son œuvre autour de la peur. Son second long-métrage part d'un programme usé (home invasion avec une dose de thriller psychologique) pour fournir une démonstration virtuose. Secuestrados suit le cambriolage subit par une famille, sans tracer de fausses pistes ni laisser de fioritures. Le temps du film et le temps réel sont confondus (ou quasiment), le spectateur est impliqué au maximum grâce à la succession d'une dizaine de plans-séquences (comme pour Irreversible) et à l'usage de la Steadycam (appareil mobile utilisé à partir de 1976 et anobli par Shining).


Kidnappés (traduction française maladroite) est minimaliste, frontal. L'attention est portée sur les effets, la terreur provoquée par cette prise d'otage. Les procédés mis en place rendent inadéquates ou vaines les interprétations, encouragent l'empathie mais sans instaurer de sympathie pour les victimes. La vérité physique est fournie crûment, avec quelques artifices sonores comme ceux reflétant l'état de choc de la fille. Si tout ne peut être rapporté et qu'il faut trancher, les expressions faciales sont la priorité : elles portent l'angoisse profonde face à la mort, la peur animale, l'indice ultime de l'insignifiance d'une vie. Secuestrados cherche à aligner les émotions du spectateur sur celles des assiégés, notamment la surprise, qui revient toujours à sa forme radicale dans un tel contexte : la sidération, l’hébétement.


Ce film a donc les ressources pour constituer une expérience traumatisante. Pour autant Vivas rapporte ces horreur avec un point de vue de greffier sans états d'âme. Il n'y a aucune intervention extérieure, pas de musique additionnelle ou d'effets ramenant de la distance ; sans tomber dans l'écueil du pseudo documentaire. Le réalisme autorise le style, le style ici s'accorde au réalisme. Le film doit également sa puissance de frappe à son intelligence large, son souci de l'arrière-plan : il introduit les caractère sans en avoir besoin, sans surenchérir ni chercher à acheter ou détourner le spectateur de quelque manière, vers des fins annexes (cette famille est sans grâce ni promesses particulières, traîne manifestement ses complications sans que celles-ci viennent parasiter le déroulement de l'attaque).


Le spectateur n'a jamais plus d'informations que les protagonistes, juste l'angle visible maintenant. À une exception près, l'inéluctabilité du drame étant garantie par la séquence d'exposition. Aucune issue n'est à l'horizon, aucune compensation n'est permise. Secuestrados n'en rajoute pas, accepte de s'en tenir à la violence obscène et extrême mais banale ; les sensations de proximité s'additionnent (en tant que spectateur de cinéma, spectateur d'un événement dans le quotidien, spectateur physiquement entraîné et pris en otage – doublement lors des split screens). Dans ces conditions savoir que tout est déjà finit concernant ces gens dissipe l'angoisse pour mieux 'blaser' le désespoir et laisser la place à une urgence abjecte.


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le 15 juin 2016

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Zogarok

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