Si Jésus avait connu les flingues.
Je suis le seul. Mais dans cette farandole de vagins poilus, de sucotte-poulets et de tronche-nigauds, j’ai vu le Christ. Pas d’affolement, nous ne sommes pas chez Meyer, mais bien dans l’antre de Friedkin, papa des exorcismes et novateur de l’image.
La première chose qui frappe, à l’écran et à la pudeur, est probablement ce voyeurisme constant, insidieux dont fait preuve le spectateur (bien malgré lui) face aux personnages. C’est une bonne chose. Sans être dans leurs têtes, nous voici face à leurs corps, à leurs tics, leurs recoins de crasses et leurs répliques crues. Peu de réalisateurs se sont permis, par le passé, de mêler gêne du privé et plaisir du spectacle sans tomber dans le vulgaire. Imaginez, en somme, une hybridation entre Strip Tease et J’irai dormir chez vous, le tout bien cadré, bien joué et franchement scotchant. Quand Juno Temple - supposée avoir douze ans - se déshabille lentement dans le dos de Matthew, ce n’est pas un tabou. C’est sensuel, contemplatif et même contaminant. On se surprend, un peu honteux, à éprouver l’excitation du bonhomme. Et c’est là que le malsain pourrait frapper, par ce quatrième mur de la morale complètement abattu. Mais pas du tout. Parce que nous sommes tous, à cet instant, des Killer Joe, et non des citoyens lambdas.
De même, ce Joe, flic recyclé en tueur à gages, n’endosse pas à lui seul le rôle de l’insanité. Tous les personnages l’étant, difficile de désigner l’anormalité de tout comportement. A vrai dire - et c’est bien là vraie la force du film - Joe apparait davantage comme une solution christique, vaguement oedipienne, aux problèmes familiaux. Il tue la mère et rehausse l’honneur de père (la fameuse scène du poulet frit). Il unit la famille autour d’une table et prononce les grâces. C’est là quelque chose d’irréel, certes, mais qui pose le ciment de toute l’histoire.
Acteurs, aussi, en béton armé. Juno Temple illumine chaque scène, subtil mélange de fraîcheur et de décrépitude, Thomas Church crée une véritable détresse par le regard et Matthew, enfin, prouve que Magic Mike n’est qu’une prestation de fainéant.
Alors oui : Killer Joe propose du sexe, du sang et un cliché de l’Amérique profonde. Mais il pose un coeur tout palpitant là où Hollywood n’osera jamais le mettre : juste à côté des couilles.
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