Récit initiatique d'une violence nocturne

Kinatay, c'est l'histoire d'une nuit, d'un jeune marié un peu fauché, Peping, qui pour arrondir ses fins de mois se laisse entraîner par un gang local. Il ignore alors qu'il va vivre une des nuits les plus horrifiques de sa vie...

Tournée à la limite d'un documentaire, la première partie sert de trompe l'oeil. Une longue séquence d'exposition de trente minute sur la vie paisible du jeune homme, qui semble vivre en harmonie avec sa famille.
Un esprit brouillon mais chaleureux ressort néanmoins de la ville de Manille, filmée à l'épaule par Mendoza, qui peut néanmoins dérouter par l'approximation de son cadrage et de la rudesse de son image. Elle prend des tranches de vie de façon brute et sans arrière pensée, en particulier le mariage du jeune homme, ce qui permet de définir un cadre dans lequel évolue le personnage. Du moins durant le jour...

...Car arrivée la tombée de la nuit, la deuxième partie du film, beaucoup plus froide, permet de rentrer dans le vif du sujet. le climat change radicalement, les attitudes, les traits de chaque personnage deviennent plus sombres. On assiste alors à une partie beaucoup plus expérimentale, une chevauchée initiatique du personnage qui découvre la dure réalité du gang dans lequel il vient de prendre part.

J'ai été plutôt réceptif à l'ambiance qu'a voulu instaurer Mendoza dès la séquence en bagnole, longue et éprouvante, où le silence, ressenti par le jeune homme, vient laisser place à l'horreur de l'image, qui permet une immersion nocturne assez forte je trouve, dans les rues de Manille. L'utilisation des cadrages approximatifs, et des gros plans filmés à l'épaule sert admirablement à se sentir au plus près du protagoniste. Beaucoup de non dits, l'utilisation de hors champ et parfois de sous expositions de certaines scènes rend le récit encore plus sombre et énigmatique. Et c'est qui rend l'expérience encore plus vivante et vraie selon moi.

La chevauchée grimpe progressivement dans l'échelle de la violence. Les scènes de tortures sont extrêmement bien retranscrites dans le prisme de ce personnage. Instaurée de manière très cynique et protocolaire dans l'agissement de ces mafieux, ces longues séquences m'ont beaucoup rappelé certaines scènes de Gaspar Noé, ou encore le dernier opus de Pusher, de Refn. Des personnages tellement habitués à cette déferlée de violence qu'ils en répètent inlassablement les mêmes gestes, sans plus aucun état d'âme ni aucune humanité. D'une froideur extrème. Et le contraste avec Peping est saisissant, on sent tellement étranger à ce monde que l'on prend en pleine face ces images très dures, à la limite du supportable parfois, sans pour autant tomber dans l'échelle de la gratuité.

Pour conclure, ce film est bien plus qu'un énième film de mafia. C'est pour moi un film qui se démarque plutôt bien dans son approche assez singulière et expérimentale dans son rapport à la violence. Si l'on arrive à rentrer dans cette atmosphère nocturne et bien glauque, il y a moyen de se faire un petit trip sympa.
jejeninjaki
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 5 nov. 2014

Modifiée

le 6 nov. 2014

Critique lue 364 fois

2 j'aime

jejeninjaki

Écrit par

Critique lue 364 fois

2

D'autres avis sur Kinatay

Kinatay
D-Styx
4

L'enfer, c'est les autres.

Kinatay est le second film du réalisateur philippin Brillante Mendoza qu’il m’est donné de voir, après Ma’Rosa qui m’avait beaucoup dérangé, et dont la projection en 2016 m’avait marqué. Il est aisé...

le 9 juin 2020

8 j'aime

1

Kinatay
eldjiin
7

Malaise

La première fois que j'ai vu ce film, je suis sorti de la salle furieux et je pestais contre la mauvaise qualité des cadrage, de l'image, des longueurs. La nuit passée, je me suis tout simplement...

le 14 nov. 2011

8 j'aime

Kinatay
EricDebarnot
7

Damnation éternelle

En son temps, "Kinatay" engendra un débat assez animé entre partisans admiratifs de la "méthode Mendoza" de filmer (le film reçut d'ailleurs la récompense cannoise non négligeable du Prix de la Mise...

le 4 oct. 2015

4 j'aime

Du même critique

Sous la chaleur du soleil
jejeninjaki
8

Romance adolescente

**** Film découvert dans le cadre d'échanges cinématographiques du forum cinéma de JV.COM. ***** Récit d'enfance biographique d'un chinois qui a vécu toute son adolescence en pleine période de la...

le 20 avr. 2013

9 j'aime

1

La Poursuite impitoyable
jejeninjaki
7

In money and violence we trust...

Parfois il suffit de peu de choses, d'une petite intrigue - un individu au passé inconnu s'échappe d'une prison - pour pouvoir véhiculer un grand nombre de messages et peindre tout un pan de la...

le 6 mai 2013

8 j'aime

La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2
jejeninjaki
9

La vie de chacun d'entre nous

J'avais hâte de chasser mes doutes et satisfaire ma conscience en allant voir ce film, annoncé comme le chef d'œuvre du cinéma. Toutes ces polémiques a la con autour de ce film de la part de leurs...

le 13 oct. 2013

7 j'aime

3