Kramer contre Kramer, à la vie comme à l'écran.

Le film se situe dans le tumulte infernal de la Big Apple, a la fin des seventies. Un couple va se séparer et au cœur de ce tourment, la garde de l'enfant est en jeu entre le père et la mère. Tout indique que la mère va gagner cette garde, malgré l'abandon qu'elle, Meryl Streep, a causé de façon abrupte, et à son mari, et à son fils, et au film lui même d'ailleurs dès la sequence d'ouverture et jusqu'à son retour dans le dernier quart du récit.

Entre temps, lui, incarné par Dustin Hoffman, publicitaire en pleine réussite et sans autre motivation que sa carrière, va devoir composer avec cette nouvelle situation de célibataire et, sous nos yeux, deux heures durant, apprendre à être un père digne, un peu comme le père indigne du plus récent film A train to Busan ou celui-ci comprenait in fine le sens de la paternité en même temps que celui du sacrifice.

Les voilà donc ensemble, Kramer et son fils, à apprendre à se connaître notamment autour d'une première scène de préparation de petit déjeuné raté. A l'autre bout du film, un an s'est écoulé et les voila entrain de préparer a nouveau le petit déjeuner, le dernier avant que la mère de l'enfant ne viennent le chercher pour en avoir la garde légale. Évidemment, la préparation et devenue une réussite du quotidien et l'enfant se met a pleurer de devoir quitter son père juste après.

Forcement, dans l'intervalle, on s'attache, et tout est fait pour que ce père fantomatique entrain de naître sous nos yeux obtienne notre adhésion comme celle de son propre fils. A un moment, presque, celle qui s'est enfui de son devoir familial et qui ose revenir pour "obtenir" son enfant nous apparaît non seulement comme une antagoniste, quelqu'un qui s'oppose au bon fonctionnement du film, mais surtout comme une ennemi, celle par qui le trouble va advenir, celle qui sera a l'origine de toutes nos larmes tant l'intrigue s'intensifie a mesure que s'invite le juridique.

Tout cela, c'est sans compter sur un premier hors champ absolue, évoqué durant le procès, celui des cinq années infernale vécue par la mère juste avant son geste décisif de partir, ces cinq années a élever seule son fils ou presque, avec un mari et père spectral, et surtout une angoisse de ne pas comprendre qui l'on est, de voir le temps passer sans essayer de se réaliser autrement que dans une rôle de mère. Comme elle finit par le dire elle-même lors de sa déposition : être autre chose qu'une fille de, une femme de, une mère de.

Et c'est là que j'aimerais quitter, une fois n'est pas coutume, toute les préoccupations formelles qui m'animent lors de ces monologues sur les films que je vois, et que j'aimerais laisser le réel et l'expérience s'inviter une fois de plus dans le texte.

Kramer contre Kramer, je l'avais déjà vu quand j'étais plus jeune, très jeune, peut être de l'âge de l'enfant qui est dans le film, sept ans. Je me souviens l'avoir vu un après midi, sur le canapé, parcequ'il passait à la télé, que ma mère le regardait en repassant (ça oui je m'en souviens très bien) et je me souviens surtout que c'était encore l'un de ses après-midi sans mon père a la maison, débordé par son travail sur les chantiers. Pas de grand frère non plus, en vadrouille surement. je ne sais plus très bien lequel des deux, entre le souvenir de mon frère jeune ou bien de ma mémoire présente, est le plus galopant.

Par contre, ce que je sais, c'est qu'à l'époque, j'avais beaucoup pleuré, marqué par ce personnage de père qui cherche a faire au mieux, a tout prix. Par la bonhommie de l'acteur aussi, restée intacte aujourd'hui encore. Mais surtout, je me rappel de ma mère, malheureuse, bouleversée, qui me répétait (et n'en finira pas de le faire, jusqu'à la fin): "si je reste, c'est pour vous les enfants".

Il fallait dire que ma mère était une femme au foyer qui avait arrêté de travailler après son premier enfant (elle en aura trois) et surtout que mon père l'avait un peu écrasé dans ce rôle comme Kramer l'avait fait, lui aussi, à l'identique dans le film.

Plus tard, ma mère a fini par perdre la boule et par se noyer dans l'alcool, durement, excessivement, outrageusement, jusqu'au point de non retour. Elle a fini par se détruire, de ne pas exister pour elle-même, par elle-même.

Aujourd'hui, alors que je suis a la veille (littéralement) de mes quarante ans, je revois le film pour la première fois mais au lieu de m'identifier au personnage du père, comme je l'avais fait en étant gamin, je me retrouve cette fois ci à m'identifier d'avantage dans celui du fils. Et comme la vie est plutôt bien faite pour moi dans ma vie récente d'adulte, voilà-t-y pas que je suis également marié a la femme de ma vie et que je suis le père heureux de deux enfants, dont le plus grand des deux est un fils âgé de sept ans.


Beaucoup de choses me traverse, donc, tandis que je revois le film, et que j'essaie de m'accrocher a des réflexes de cinéphiles surentraîné: l'appartement comme espace mental du père, l'alternance dans le montage entre vie professionnelle et vie de famille, d'abord abrupte et dans des raccords insolubles avant de se marier peu à peu jusqu'à exister dans des fondus enchaînés, le rapport au quotidien et a l'apprentissage par la répétition de figure de style, les nuages sur les murs de la chambre du fils, etc... Etc...

Mais surtout, si l'on pleure tous les deux comme des madeleines, a la fin, ma femme et moi, en se tenant par le bras comme pour se dire, dans le silence du film, qu'on tient a l'autre et qu'on ne sera jamais pareil à ceux-là, c'est surtout qu'on a digéré le fait qu'aucun des deux plaignants n'a tout a fait raison ou tord, que le sujet (la fin de amour et ce qui en découle) est plus fort qu'un simple jugement de valeur ou une morale.

Enfin, plus de trente ans après, je comprend le geste du personnage incarné par Meryl Streep, son besoin de partir pour survivre, que si peut être ma mère en aurait fait de même a l'époque elle sera toujours là aujourd'hui pour connaitre ses petits enfants.

Kramer contre Kramer, titre programmatique donc, en miroir, en chiasme, comme pour dire que les termes a la fois s'oppose, et, par essence de leur opposition, existe aussi ensemble, simultanément, l'un avec l'autre l'un contre l'autre.

Kramer contre Kramer, c'est une quête identitaire, celle qu'un récit en image explore, évidemment, mais aussi la quête de celui qui en est témoin, spectateur actif malgré lui, et dans le temps.

C'est là tout le pouvoir du grand cinéma. Et c'est aussi l'occasion de se rendre compte, encore une fois, qu'il n'y a pas de sujet plus important que l'homme et son rapport a l'autre, pas de sujet plus important que celui un couple au cinéma. A la vie comme à l'écran.


sur ma chaîne youtube:

https://www.youtube.com/watch?v=GuR9nsjiacw

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le 13 déc. 2022

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