Kung Fu Panda 4
5.7
Kung Fu Panda 4

Long-métrage d'animation de Mike Mitchell et Stephanie Stine (2024)

Changement dans la continuité (toi-même tu sais)

Étrange sentiment que celui que j'ai éprouvé en apprenant la sortie de ce Kung Fu Panda 4.


D'un côté la joie de retrouver une saga qui a toujours su me séduire pour son indéniable maîtrise formelle, faite à la fois d'un sens du rythme et de la narration évident, mais aussi de propositions visuelles qui n'ont jamais manqué de caractère ni d'élégance.

Kung Fu Panda, ou l'une des rares sagas étatsuniennes d'animation pensées pour un public « familial » qui a su (selon moi) préserver à chaque fois un vrai sens de l'épopée, et cela malgré les conventions kikoulol qui semblent malheureusement inhérentes au genre.

De l'autre côté, difficile en parallèle de ça d'ignorer les limites réelles à mon enthousiasme. C'est qu'avec cette saga, DreamWorks ne réinvente pas non plus l'eau chaude. Et après trois épisodes – certes réussis mais tous construits selon la même formule bien classique – j'avoue que moi aussi (et comme beaucoup de monde) je savais plus ou moins à l'avance ce qu'on allait me mettre dans l'assiette, sans réelle possibilité de surprise véritable.

Le risque de répétition était certain et celui de la lassitude dès lors plus que prévisible.


Et pourtant, je dois bien avouer que je ressors malgré tout de ce Kung Fu Panda 4 satisfait. Plutôt jouasse même.

Alors certes, rien de nouveau sous le soleil. Énième émergence d'un nouvel ennemi. Énième obligation faite au personnage de Po de franchir une nouvelle étape dans sa vie de maître d'arts martiaux. Et, une fois de plus, l'intérêt de l'épisode ne reposera pour l'essentiel que sur une nouvelle rencontre amenant Po à explorer un nouvel univers, le tout conduisant à reproduire cet habituel cycle fait d'exploration, de baston, de doute, puis de dépassement de l'adversaire afin de recouvrer l'équilibre.


De là, je saurais entendre qu'un certain nombre y voient là le cycle de trop.

C'est d'autant plus audible qu'on ne saurait ignorer le fait qu'ici, le nouvel acolyte de Po, ainsi que la nouvelle grande ville qu'on nous propose, ont d'évidentes allures de décalque zootopien pas très glorieux.

Idem, on serait aussi clairement en droit de considérer cette nouvelle étape posée dans le parcours héroïque de Po – celui de se trouver un successeur – comme faisant un brin doublon avec le cycle de l'épisode précédent dans la mesure où Po y était déjà dans une posture de transmission.

Enfin, difficile également de ne pas voir dans cette nouvelle antagoniste qu'est la Caméléone une légère redite de Maître Chen ; effet de redite qui n'est pas aidé par la mobilisation des anciens méchants des épisodes précédents.


Seulement voilà, il se trouve que, pour ma part – même pour une quatrième itération de cette même formule – j'ai une fois de plus dépassé tout ça.

Les premières raisons à ça sont très simple, et au fond elles sont les mêmes que pour les trois épisodes précédents. J'ai d'abord adhéré de bout en bout à Kung Fu Panda 4 grâce aux mêmes qualités que celles que j'ai énumérées en introduction de ce billet : ce sens du rythme et de la narration, cette mise-en-scène propre et maîtrisée, ce souffle épique qui parvient à surmonter ces injonctions régulières à la blagounette et à la dédramatisation.

Disons-le : ça reste quand même un bel objet cinématographique un Kung Fu Panda. Et en ces temps sombres à base d'Avengereries et autres ouvrages épileptiques et lissés numériquement, je ne boude jamais ma joie quand un film sait rester fidèles à ce genre de fondamentaux.


Mais à bien y regarder, les raisons de mon plaisir ne s'arrêtent clairement pas à cette seule base-là.

Car une saga qui dure c'est généralement une saga qui parvient à se renouveler tout en restant fidèle à ce qui fait son identité. Or, c'est quoi l'identité de Kung Fu Panda, outre cette patte formelle ?

Eh bien, l'air de rien, je trouve qu'en ayant aussi manifestement cherché à singer le voisin Disney, ce quatrième opus a eu pour grand mérite de clarifier et d'affirmer ce qui l'en distinguait. Et loin d'atténuer mon plaisir par faute d'originalité, cette déclinaison zootopienne s'est assez vite transformée en jouissive source d'intérêt.


Car ce qu'il y a de stimulant dans cette manière qu'a ce Kung Fu Panda 4 de remobiliser le personnage de renard chapardeur et de grande métropole grouillant de vie, c'est qu'il appelle forcement à la comparaison. Et cette comparaison, elle est assez riche de sens.

Là où Zootopie nous offrait un portrait de la métropolisation heureuse et bariolée, Kung Fu Panda 4, lui, répond par une ville plus dense, plus mêlée et surtout bien plus ambivalente.

Car si Juniper City peut elle aussi se montrer le lieu de tous les possibles en termes de richesses, d'activités et de rencontres, elle révèle également ce visage moins reluisant de tous ces possibles en termes de déshumanisation, de stratification, voire même de mystification.


Parce qu'au bout du compte, qu'est donc la Caméléone si ce n'est une marchande d'esbroufe, construisant sa renommée en empruntant celle des autres, bâtissant son empire en usurpant les richesses produites par autrui ? La pyramide de Juniper est si haute et si stratifiée qu'une telle supercherie devient possible, au point que celui ou celle qui s'en trouve à son sommet puisse régner sans aucun talent particulier, même pas celui de la maîtrise de la force brute. Celle-ci ne saura d'ailleurs être acquise que par le vol. Pire encore : l'accaparement. Car dans Kung Fu Panda 4, le vol peut encore présenter une certaine noblesse du fait de la technique qu'il requière et de la nécessité qu'il peut satisfaire.

Des vertus bien étrangère à cette Caméléone.


Bien évidemment, il n'y a rien d'anodin à présenter les choses ainsi dans un monde tel que le nôtre. Et si la proposition offerte par Zootopie savait être un tout aussi habile prétexte à produire un univers riche et maîtrisé, que malgré tout celle de Kung Fu Panda 4 parvient à s'en distinguer de par sa manière moins univoque et angélique d'accompagner l'air du temps.

Car alors que, de son côté, Disney passe désormais son temps à embrasser toutes les causes du moment, se positionnant dès lors dans une validation sans nuance d'un auto-proclamé progressisme censé balayer le monde ancien (mais bien évidemment sans rien faire de cela car « tout sauf les classes », toi-même tu sais), Kung Fu Panda 4 questionne en permanence la nécessité de trouver des équilibres nouveaux en apprenant à concilier les aspirations de chacun et les mécaniques du grand tout.


D'un côté la métropole hors-sol où tout est possible à condition que chacun reste à sa place, de l'autre un monde complexe fait de villes et de campagnes, de vies et de morts, d’individualités et de collectifs, d'oppresseurs et de libérateurs.

Dans Zootopie, il suffit de s'attaquer aux vilaines idées pour que le monde puisse enfin devenir un paradis sur terre car paradis, il l'était déjà, avec chaque personne rangée dans sa petite case et au sommet un lion pour les gouverner tous.

Dans Kung Fu Panda 4, une fois de plus, il aura été question d'apprendre à tisser des liens nouveaux afin d'intégrer de nouvelles entités au sein du grand tout. L’action de chacun appelle à espérer que l’action de l’autre s’inscrive dans une logique de considération de l'ensemble qui sache dépasser les simples intérêts particuliers.


Et si, au bout du compte, cette philosophie me plaît tant, c'est qu'en définitive elle est insufflée dans chaque aspect de ce film.

Cet attachement aux fondamentaux du cinéma ; cette volonté de ne pas rompre avec certains enjeux narratifs de l’épopée ; relèvent pour moi aussi de ce souci de ne pas tout envoyer balayer sous prétexte que c’est ancien et plus dans l’air du temps.

Alors certes, toutes les productions DreamWorks ne sauraient se targuer de cette même clairvoyance, mais au moins, pour le moment, Kung Fu Panda est encore là, à se faire le gardien du temple du plus étrange paradoxe. Car en un temps où il convient d’attirer l’attention sur une réforme des mœurs pour ne surtout pas devoir à réformer les structures, Kung Fu Panda se pose comme un gardien des valeurs fondamentales mais pour mieux justifier la nécessité de bouger les lignes afin d'intégrer plus large et ainsi affiner le cercle en même temps qu'on l'élargit.


Changer pour mieux embrasser.

Et chercher l’équilibre pour mieux bouger les choses sans tout faire s’écrouler.

Voilà qui, l’air de rien, apporte de quoi méditer

Créée

le 11 avr. 2024

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