Quatre histoires de fantômes japonais, Masaki Kobayashi aux commandes, 1 million de dollars de budget, un film légendaire et colossal et le chef d'œuvre est bien au rendez-vous. Kwaidan est évidemment très, très lent ce qui semble normal pour un Kobayashi mais là c'est définitivement le cas. Cependant, une lenteur très loin d'être surfaite et inutile, une lenteur captivante même, là est toute la différence. Kwaidan raconte quatre fables aux scénarios sympathiques mais qui ne font certainement pas sa force. Le film se pose comme l'ancêtre luxueux et féodal des Ring et autres Bake Mono "Sadakesque", une lenteur oppressante donc, un nombre de personnages restreint, un ou des fantômes mystérieux, une ambiance sonore capitale et un climat de peur plus sensoriel que démonstratif. Oui mais là où Ring et les autres enfants du genre sont tout juste honnêtes, Kwaidan est d'une puissance magique et contemplative incommensurable.

Les deux premières histoires assez proches l'une de l'autre servent d'encas de luxe où l'ambiance visuelle et sonore fait des merveilles pour se plonger progressivement dans le bain. Peu de dialogues dans ces deux parties mais une lente pression glacée tout en crescendo, un ressenti puissant et constant qu'il va se passer quelque chose de terrible.

Le troisième segment, gros morceau d'une heure, est le plat de résistance, pas tant pour l'onirique bataille surréaliste et théâtrale en pleine mer, déjà superbe et magnifiquement placée, mais plus encore pour ce qui suivra, là où nous emmènera le joueur de Luth, avec une petite dose d'humour absente des deux premières histoires, grâce à l'excellent Kunie Tanaka, qui leste un peu la pression et complète le sensoriel.

Le dernier segment pour finir, parfaite conclusion au tout, épilogue à l'esthétisme sobre, diminue encore un brin la pression, grâce à un penchant ludique supplémentaire et une dose accrue de mouvements désordonnés, tel un spectateur qui se débattrait de la toile fantomatique, pour terminer sur un ultime plan glacial.

Que ce soit la maison qui se décrépit discrètement plan après plan, la terrible femme des neiges, la présence flamboyante du clan Heike trépassé entre brume et réalité, le visage mi angélique, mi infernal habitant dans le bol de thé et une tonne d'autres claques encore, Kwaidan reste gravé pour longtemps et en profondeur. Alchimie grandiose d'une sublime ambiance sonore expérimentale, de décors fabuleux composés de main de maître, de couleurs à tomber par terre, d'une image époustouflante de densité, d'un cast parfait et ce pour chaque segment, tous sans exception complètement hypnotiques, tout en fait relève de l'hypnose globale.

Impression unique de palper, sentir, ressentir le bois et le tissu, la neige et l'osier, la mer, la terre et la brume, le thé et le papier, Kwaidan, c'est avant tout une expérience sensorielle où les multiples petits détails ne font que renforcer la traversée, le voyage lointain sur ces terres étrangères.
Une tension fantastique énorme, des travellings flottants, une contenance millimétrée retenue jusqu'à l'ultime frontière, des êtres et des sons qui errent entre les dimensions, des transformations de l'espace, soit par touches subtiles d'un plan à l'autre, soit simplement par la lumière, un traitement visuel au dessus de tout, en bref Kwaidan, c'est inexplicable tant c'est maîtrisé et bien plus que cela, majestueux, et ce dans absolument tous les compartiments, comme un goût prononcé d'avoir vu l'Olympe.
drélium
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le 7 févr. 2011

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drélium

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