La grande fresque, tant biographique qu’historique, entreprise par L’Abbé Pierre : une vie de combats applique à une figure modeste, incarnation de l’altruisme et de la charité, une imagerie de blockbuster, représentant sa vocation comme une destinée grandiose et linéaire, la création d’Emmaüs tel le quartier général d’un héroïsme médiatique. L’ambition totalisante constitue la plus grande erreur d’une production hagiographique qui loue un homme sans interroger ses zones d’ombre, sans montrer ses hésitations, sans le laisser vivre, en somme. À quoi bon, dès lors, recourir au genre codifié du biopic si c’est pour délaisser à ce point l’humain au profit de ses actes, de ses « combats » qui, évoqués dès le titre, sont énumérés – justifiant périlleusement un découpage temporel fait d’indications inutiles et encombrantes qui donnent l’impression de lire une fiche synthèse de la vie et de l’œuvre d’un grand auteur ? Combats contre lesquels se heurte un réalisateur incapable de trouver le ton juste et le style adéquat ; le pire étant la séquence d’engagement la Seconde Guerre mondiale, très mal interprétée – Benjamin Lavernhe imite Christian Bale dans Hostiles (Scott Cooper, 2017) – complaisante dans la violence et hideuse dans les mouvements saccadés qu’elle impose à la caméra en répercussion (fictive) des balles tirées. Les bonnes intentions du long métrage, et le souci de répondre aux attentes d’un public spécifique à même de se déplacer en salles, vont à l’encontre d’un personnage dont la dimension scandaleuse n’apparaît qu’en clausule comme l’expression bouffonne d’une vieillesse déridée. Sacré papi !, se dit-on devant les charges adressées aux hommes politiques ou aux médias.
Voilà donc un divertissement rutilant et bruyant qui parle haut et fort, écrasant tout sur son passage, un blockbuster qui regarde l’Abbé Pierre comme un Avenger français. Mais qu’aurait pensé celui-ci d’un tel traitement réservé à sa personne ? Avec beaucoup moins de moyens budgétaires mais bien plus de talent, Benoît Delépine et Gustave Kervern investissaient le microcosme Emmaüs avec davantage de subtilité et de complexité, transformant un looser pathétique en leader d’une association caritative (I Feel Good, 2017), raccordant l’Abbé Pierre à la modestie de sa condition d’être humain.