J'en ressors à l'instant.
Et je suis en charpie.
Il fallait dire que rien ne m'avait préparé à ça et certainement pas le début de ce film.
C'est qu'au départ, ce "Once Were Warriors" se contente simplement de nous afficher de la misère et des gros bras.
Le cadre est propre mais il est fade. Le folklore est posé comme un artifice mal(-)mené.
Tout ça a des allures de petite fable de petites gens. Une banale histoire où face au dénuement et à la merde, on sait se serrer les coudes en se raccrochant aux plaisirs qu'on peut.
Les fêtes à la maison. La baise. La bière.
Et si parfois tout ça conduit à quelques bagarres entre hommes, le côté factice de la forme semble vouloir nous rappeler qu'il ne s'agit là au fond que d'un rituel au charme presque pittoresque.


...Et puis les minutes passent.
Les soirées de beuverie s'enchainent. Et d'un coup en vient alors un autre.
C'est d'abord un enfant qui s'en va puis c'est un visage qu'on défigure.
C'est une promesse qu'on brise avant que ce soit une innocence qu'on pulvérise.
Et ce n'est qu'alors que les choses prennent vraiment tout leur sens.
Ce n'est qu'à ce moment là qu'on peut pleinement comprendre ce que Lee Tamahori était en train de nous peindre depuis le début.


A bien tout prendre, la famille Heke est bien plus qu'une famille qui vit dans la misère.
C'est un peuple qu'on broie.
Un peuple qui n'est pas chez lui sur ses terres.
Un peuple perdu dans un monde qui n'est pas le sien.
Alors les chorégraphies maladroites du début prennent soudainement un tout autre visage.
Loin du folklore d'une populace se livrant à de la bonne vieille ripaille, on comprend que le spectacle qu'on nous avait donné à voir était en fait une déchéance mélancolique dans laquelle les esprits anciens se sont égarés ; un triste haka qu'on accomplit sans âme et sans cœur, noyé par un alcool venu de loin et qui n'a rien à faire là à part faire oublier l'essentiel.
L'essentiel c'est que ce peuple est resté esclave. Et que cette colère qu'il noie n'est rien d'autre qu'une chaine nouvelle qui étouffe les âmes quand les anciennes serraient les corps.


Autrefois ils furent des guerriers, nous dit le titre original.
Et étonnamment c'est dans ce rappel profond que Lee Tamahori parvient à faire naître un brasier au milieu de la dureté.
Plus le film s'engouffre dans la cruauté, plus il est cru dans sa manière de broyer méthodiquement tout espoir, et plus il parvient à réveiller cette âme qui les sauvera tous.
L'âme des guerriers.


Et là soudainement, la forme pour laquelle a opté Tamahori prend tout son sens.
Si l'image reste sobre, les sons et les coupes martèlent soudainement la puissance de cette âme profonde qui ne demande qu'à ressurgir.
Cette fierté qui n'a pas été broyée et qui parvient encore à raviver quelques regards.
Cette dignité qui ne craint ni les coups de pilon d'une brute, ni le torrent dévastateur d'avoir à affronter la perte de ce qu'on a de plus cher.
Tandis que les esclaves s'enivrent et cognent en vain, les autres se rappellent.
Ces autres qui finissent par se reconnaître et se retrouver.
Ceux-là même qui n'ont pas oublié qu'avant qu'on les broie, ils étaient au fond d'eux d’invincibles soldats.

lhomme-grenouille
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le 20 mars 2021

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