Si la collaboration Mann/Stewart a accouché de nombreux grands films, on ne peut pas dire qu'ils se ressemblent beaucoup. En effet, les deux hommes venaient de tourner "Bend of the River", film dans lequel l'aventure, ou le grand spectacle, prenait le pas sur la psychologie des personnages, faisant oublier de la sorte le travail fait avec "Winchester '73" pour nous présenter des héros complexes et ambigus. Avec "The Naked Spur", Mann va corriger considérablement le tir : il délaisse l'aspect aventureux pour se concentrer uniquement sur les personnages, et plus particulièrement sur leurs petites ambitions et sur leurs grandes faiblesses ! Pour ce faire, il calque son western sur le modèle du huis clos (en plein air certes, mais un huis clos quand même !), il limite drastiquement le nombre des protagonistes (cinq au total) et les place dans un milieu hostile où leur personnalité va vite s'afficher au grand jour ! Évidemment, par rapport aux autres westerns du cycle Mann/Stewart, "The Naked Spur" détonne de par son cynisme et son âpreté ! Le film est dur, violent, et surtout il est bien difficile de s'attacher à des personnages qui paraissent tous profondément antipathiques. Il n'y a pas grand-chose à sauver chez ces pauv'gonzes ; même le "héros", incarné par Stewart, semble être un beau salaud. Pourtant Mann réussi son coup et, malgré une ou deux incohérences, il arrive à nous passionner pour les destins tourmentés de ces rebuts de l'humanité...du moins pendant une grande partie du film ! Car malheureusement, les dernières minutes, et un happy end assez mal venue, viendront saloper un travail jusque-là irréprochable !

A priori l'histoire ne brille pas par son originalité et sa complexité ! Un chasseur de primes, Kemp, ne pense qu'à mettre la main sur le dénommé Ben et toucher ainsi un joli petit pactole. Ce dernier, comme tout bon fuyard, se contente de fuir et va se cacher dans les Rocheuses avec une p'tite blonde, Lina, qu'il a embarquée au passage. Après bien des difficultés, Kemp va finir par capturer son bonhomme avec l'aide conjointe d'un ancien militaire, à la morale douteuse, et d'un vieux chercheur d'or (Millard Mitchell dans un rôle à la Walter Brennan). Seulement, sur le chemin du retour, la cupidité des uns et des autres va vite se révéler, et les premières dissensions vont vite apparaître. Une situation que Ben va tenter de tirer profit en essayant de manipuler ses geôliers et en les montant les uns contre les autres.

Comme à son habitude, Mann exploite à merveille le cadre naturel pour révéler la vraie nature de ses personnages. Ici les Montagnes Rocheuses, splendides, sauvages et abruptes, vont parfaitement symboliser le parcours chaotique de nos personnages et surtout du "héros", Kemp ! Ainsi, pour satisfaire ses ambitions cupides, notre homme va se débattre comme un beau diable contre une nature qui se moque pas mal de ses états d'âme ; il va prendre d'assaut une montagne inhospitalière, gravir des pentes dangereuses et passer de redoutables rapides, dans le simple but de gagner sa poignée de dollars ! Le jeu en vaut-il la chandelle ? Et puis surtout, dans ce cadre sauvage, les masques tombent et les hommes se révèlent ! La dangerosité du milieu va repousser les êtres dans leur propre retranchement et accentuer leur "animalité". Après l'attaque des Indiens, brutale et sanglante, l'idée de mort plane au-dessus du petit groupe et les tensions s'en retrouvent exacerbées ! C'est à ce moment-là, où les corps et les esprits sont usés et fatigués, que Mann focalise davantage son attention sur les différentes personnalités ! Kemp apparaît affaibli, le visage tendu par la souffrance, et se laisse aller à quelques confidences : on entraperçoit alors les tourments de son passé et on comprend que ses motivations dépassent le seul appât du gain ! Des fêlures dont Ben tentera de profiter pour pouvoir se faire la malle : Mann met en scène tout cela d'une manière très simple en se servant du huis clos d'une grotte comme catalyseur émotionnel et en utilisant les caractéristiques du lieu pour servir sa narration. C'est clair, simple et efficace .

Formellement, "The Naked Spur" est une belle réussite ! Le visuel est l'un des plus soignés chez Mann, la tension est fort bien maîtrisée et va crescendo, les personnages sont complexes, ambigus, et bien portés par une belle brochette de comédien ! Il manque malgré tout à ce film un petit quelque chose pour le rendre aussi délectable que les autres opus du cycle. Les personnages ne sont pas spécialement attachants et l'âpreté du film ne le rend pas facilement appréciable. Mais surtout, il y a ce final qui tombe comme un cheveu sur la soupe et qui ne colle pas avec le reste de l'histoire. Mann aurait dû se passer d'Happy end ou alors, détailler davantage la relation entre Kemp et Lina pour rendre crédible le retournement de situation finale ! Malgré tout, "The Naked Spur" reste un film à voir, pour ce huis clos superbe et pour un Jimmy plus sombre que jamais.

Créée

le 14 avr. 2023

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Procol Harum

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