Sur les pavés, la Place

Il y a maintenant plus d'un an et demi naissait le mouvement Nuit Debout, regroupement citoyen cherchant à redéfinir et à réinventer de nouvelles formes d'expressions démocratiques et idéologiques. Sur près de 90 jours des milliers de français se sont réunis dans les grandes villes de l'hexagone, étirant les journées de mars comme l'éventuelle contestation d'un État avoisinant l'oligarchie et bouleversant les acquis sociaux propres au Code du Travail. L'indignation des citoyens français fut, dès la nuit du 31 mars 2016, prétexte à complaisance médiatique et intimidation policière, faisant oublier l'essentiel à tout un pan de la population : sur la Place de la République à Paris renaissait une certaine idée de l'idéal démocratique, un rassemblement permettant de mettre en mouvement la parole du peuple, par le peuple et pour le peuple.

C'est donc aujourd'hui que sort en salles L'Assemblée, documentaire aux allures à la fois confidentielles, amères et utopiques revenant sur ce mouvement rappelant celui des Indignés hispaniques. La réalisatrice Mariana Otero présente sur une centaine de minutes les nombreux commentaires de citoyens ayant campé sur la Place de la République au printemps 2016, de toutes classes sociales confondues. On assiste dès la mise en place de cette agora bienveillante à l'intervention de Frédéric Lordon, émérite économiste de gauche constatant avec véhémence qu'"il se passe enfin quelque chose" ; adoptant un langage commun fait de gestes moins réellement pragmatiques que forcément pondérateurs les citoyens cherchent donc à concrétiser un nouveau régime politique et - pourquoi pas - une Sixième République par la seule force d'un échange d'idées fondé sur la démocratie participative.

En bon huis-clos à ciel ouvert L'Assemblée est un film qui s'en tient stricto sensu à son cadre et - de fait - à son sujet. Mariana Otero ne quittera jamais la Place de la République, construisant son film exclusivement autour de cette mobilisation contestataire mais pacifique. L'Assemblée fait donc figure de témoignage historique désenchanté, à l'ère de l'avènement d'un président ayant littéralement pris le pouvoir le 7 mai 2017. Si la projection du film de Mariana Otero laisse sur un malaise plus ou moins tangible c'est qu'elle fait écho à une autre révolution manquée de l'Histoire de France, celle d'un certain Mai 68 dont les principaux acteurs ne sont autres que les parents des jeunes générations actuelles, générations elles-même actrices de Nuit Debout.

D'abord envahie puis de plus en plus clairsemée la Place de la République fut le théâtre un peu vain d'un débat s'essoufflant de semaine en semaine, pas assez activiste pour prendre une direction réelle et conséquente. Car malgré son ampleur initiale Nuit Debout n'en demeurait pas moins un microcosme populaire sciemment jugulé par les forces policières et autres milices de tout poil, microcosme rendant compte in fine de ses limites potentielles. L'Assemblée témoigne humblement et humainement de l'organisation et de la pluralité dudit mouvement ( on parlait entre autres choses de Dessin Debout et de Bibliothèque Debout, autant de moyens d'expression esquissant gentiment la volonté de résister au camouflet de la Loi El Khomri ) sans perdre de vue le caractère tristement utopique d'un rassemblement qui - à défaut d'avoir porté ses fruits - s'est attelé, le temps d'un long mois, à repenser la démocratie.