Certaines femmes réalisatrices seraient-elles davantage bâtisseuses que les hommes ? Ou du moins, auraient-elles davantage le souci de se montrer telles ? Serait-ce pour échapper aux aussi sempiternelles qu'insipides remarques concernant la pure intuition féminine, la sensibilité toutes voiles dehors...?


Toujours est-il que voici de nouveau une femme réalisatrice, la brillante Claudia Llosa, dont le film reflète de façon très visible le souci de structure qui sous-tend son organisation. A la manière du créateur de land art et chaman guérisseur qui jouera un rôle décisif dans le récit, y révélant les destins, la réalisatrice construit son film en un assemblage de brindilles narratives qui vont dessiner l'histoire d'un fils et de sa mère, suivis à deux époques différentes, espacées de vingt ans.


Le film s'ouvre sur une scène mystérieuse, hypnotique, dont la nature ne se dévoile que progressivement : dans un paysage de neige, au Canada, une foule muette attend, en file indienne, après avoir bénéficié de la distribution singulière d'une petite pierre emballée. Un superbe tunnel de légers branchages s'étire devant ces gens, son auteur fièrement campé devant lui. La scène prend sens : un seul sera élu, le détenteur d'une pierre blanche, et sera autorisé à pénétrer dans le tunnel, afin d'être guéri par l'artiste chaman. Il faudra un accident, l'envol d'un faucon qui s'engouffrera, affolé, dans le tunnel, l'intervention d'une mère et une guérison nouvelle pour que les destins se nouent.


Dès lors, le film osera se pencher sur des zones peu approchées, si ce n'est par la psychanalyse : le caractère insupportable de la maladie pour l'entourage, l'exaspération provoquée par les soins dont le patient est entouré, l'état de crise que le mal peut installer chez les proches, comme s'il avait le pouvoir d'anéantir tous les humains alentour, hormis le malade lui-même, du moins lorsque la lésion ne tient pas suffisamment vite sa promesse de mort ; la culpabilité qui mine, ensuite, celui qui a formé d'un peu trop fervents vœux de mort ; la glaciation qui s'empare des liens humains qui l'entourent ; le rôle joué, alors, par l'animal, la chaleur des plumes d'un faucon devenant ainsi plus visible que la chaleur du lien maternel ; ses ailes ouvertes plus protectrices que les bras qui ne se referment plus sur l'enfant.


Il faudra la venue d'une étrangère, elle-même malade, en quête d'une interview mais plus fondamentalement encore d'une guérison, pour que le grand appareillage des liens humains retrouve une mobilité, se remette en marche, pour qu'une compassion soit éprouvée pour la malade et qu'un appel d'enfant soit enfin lancé à la mère.


Entremêlant délicatement les deux époques, ne livrant souvent qu'après coup la clé d'une scène s'étant jouée auparavant, recueillant de manière saisissante les bruits de la nature - craquements, grondements de la glace, souffles du vent, crissement des branches -, et servie par l'interprétation de Mélanie Laurent, Cillian Murphy et Jennifer Connelly , qui promènent leur regard bleu dans la blancheur aveuglante du grand nord canadien, Claudia Llosa réussit un film envoûtant, qui inonde d'une immense clarté en même temps qu'il entraîne dans les abysses de la psyché humaine.

AnneSchneider
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le 23 oct. 2016

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Anne Schneider

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