La scène pré générique jette le trouble. Une famille classique embarque de Dinard vers Saint Malo. Rien ne semble les distinguer de milliers de familles qui foulent le sable de la plage de l’Eventail pour se rendre au Grand Bé. Les enfants en quête d’aventure et de découverte, le mari et la femme, semble t-il aimant, discutent. Arrivés au tombeau de Chateaubriand, chacun ira de son propre ressenti, les enfants pressés d’aller voir ailleurs, Nathalie l’épouse à peine sensible à la beauté du site, seul Heinz, le mari s’en empreigne avec gravité, entre recueillement et méditation. Il s’éloigne enfin. Plan fixe sur la croix de granit surplombant la mer. Le titre apparaît discrètement « L’avenir ».


La référence au célèbre romancier malouin et génie du dualisme, n’est pas fortuite. Nathalie se rencontrera elle aussi, entre deux vies comme au confluent de deux fleuves. Mia Hansen-Love choisit en effet ce moment T, très particulier dans une vie, qui fait que tout ce que l’on a vécu de plus honorable, de plus adorable et ce qui semblait de plus durable, s’estompe d’un coup, en une espèce de réaction en chaine que rien ne semble arrêter. Une remise à zéro des compteurs, où il faut tout réapprendre, voire revivre. C’est ce revirement que va subir Nathalie, judicieusement mis en mots et en images. On assiste dès lors à une véritable expérience cinématographique très aboutie, où le rationalisme est mis à mal.


Et pour illustrer le trouble de Nathalie, un certain nombre de thèmes sont évoqués. Sa représentation fantasmatique de l’amour d’abord par le prisme du couple, de la relation filiale ou de l’adultère, trop sure de son aura, Nathalie ne pouvait imaginer qu’il soit faillible. L’âge, qui pèse très lourd à ce moment charnière, et qui confronté à un deuil, donne libre court aux renoncements de tous ordres, comme lutter pour défendre un vécu, ou bien vouloir aimer à nouveau… et de fait ne pas capitaliser ce qu’offre cette liberté retrouvée. Elle n’est que de façade, par peur de l’Avenir qui quand il est incertain trouve refuge dans les vestiges du passé.


Car c’est bien la peur au ventre, plus encore à l’âme dont souffre Nathalie, en aucun cas elle n’est en mesure de d’affronter cet Avenir. Il en va ainsi de sa trouble relation avec Fabien son ancien élève, véritable passerelle vers un futur radieux, sentimentalement, intellectuellement, socialement. Mais aussi de son mari où elle se trouve dans le déni le plus complet, d’abord en femme trompée, puis en ex méprisante. Et à un moindre degré, mais bien significatif tout de même, du lien particulier qu’elle entretient avec le chat de sa mère, soucieuse de son bien être, mais voulant s’en débarrasser à tout prix. Nathalie, privilégiant les principes moraux plutôt que d’exploiter les opportunités d’une liberté retrouvée, est l’incarnation contemporaine de « La nouvelle Héloïse».


C’est un véritable travail d’orfèvre spirituel et conceptuel auquel s’attelle Mia Hansen-Love, dont le cœur de la mécanique est incontestablement Isabelle Huppert, sensationnelle. On pourrait, sans être présomptueux dire que c’est le rôle de sa carrière, elle atteint en effet les sommets, mais l’on est sur qu’elle nous réserve encore à l’Avenir d’autres magnifiques prestations. Tout aussi essentiel, le jeu d’André Macron en mari et prof de philo rigide, celui de Roman Kolinka très convaincant en étudiant militant pour l’altermondialisme, quant à Edith Scob, elle est comme toujours parfaite et son incarnation d’une mère névrosée est savoureuse.


A l’heure où, entre films de qualité très française et boboïsme démago en tous genres, la facilité semble de mise, Mia Hansen-Love démontre avec aisance et efficacité, que l’on puisse faire un film profond, dans le sens qu’il pousse à la réflexion, et grand public. La salle était pleine, et à ma sortie qu’elle n’a pas été le bel émoi que de découvrir qu’il en serait de même pour la séance suivante.


Montage images du film sur la musique de Schubert illustrant le film

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le 9 avr. 2016

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Fritz Langueur

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