Noire et blanche, comme une vieille photographie, l'image de bienvenue de Changeling veut nous évoquer une époque révolue où les gens étaient plus simples, les bons plus bons, mais les mauvais plus mauvais encore. En 1928 une Angelina Jolie radicale dans sa distillation de l'émotion se fait enlever son enfant. Femme forte, femme célibataire, elle se retrouve malgré tout très vite démunie. Elle se tourne vers la police. Quelques mois plus tard on lui ramène un enfant que d'emblée elle ne reconnaît pas. Et pourtant la police et les hommes politiques en place vont tout faire pour qu'elle plie et qu'elle accepte cet enfant comme étant le sien.

Cruelle petite histoire d'hommes et de femmes populaires, de gens combattifs et désarçonnés par la violence du monde extérieur. Transfuge de notre époque, une époque où nous avons déjà tout vu tout entendu, comme pour nous prouver que le monde fut toujours aussi mal élevé mais que nous avons juste oublié comment s'étonner. Clint Eastwood sombre très vite dans le mélodrame le plus actif, le plus dense qu'il m'ait été donné de voir (cette situation de départ n'est que la première phase d'un enchaînement de tourments, jeux politiques, internements psychiatriques de force, meurtres en série, etc.) et se sert de son ouverture comme point de fuite, comme bouclier incassable. Car oui, Changeling nous explique lors de son début « Je suis une histoire vraie ». Et étant donné que je suis une histoire vraie mes personnages pourront souffrir mille maux, les gens pourront être aussi noirs ou blancs, monstres froids ou jeunes gens en lutte toujours emplis d'espoir. Nous naviguerons entre la plus grande douceur et la plus grande cruauté car à trop s'attacher au noir et au blanc on en oublie toutes les nuances.

Nous sommes poussés à jouir sans cesse face à un parti pris humain indécrottable et insensé. Lorsque les mauvais seront jugés, que les monstres seront pendus, que nous butterons face à une administration viciée et dangereuse, nous sourirons. La démarche de Clint Eastwood voulue comme étant de reconstitution, se rapprochant au plus près des événements pour en tirer un message-hommage (voir ses derniers Flags of our Fathers / Letters from Iwo Jima) comme autant de révélations qui sont sensées être si bouleversantes, si importantes, que nous devrons courber l'échine. Coups de briques dans le crâne, aucune place pour le spectateur pour respirer et mettre en perspective ce qu'il est en train de voir. Tout doit être concis et clair. Et en cette quête de l'ultra-concision Clint Eastwood perd le charme qu'il savait exercer parfois, la petite couleur qu'il donnait à ses récits, son regard rassurant d'un homme vieillissant qui s'attardait sur de petites histoires pour en tirer la substantifique moelle et comprendre le désespoir qui faisait que les hommes s'activent. L'envie de vivre mieux qui pousse tout un chacun à des actes outranciers. Comme un prêtre Clint Eastwood cherche la justification de nos maux, de nos péchés, de notre envie de mal. Et comme un prédicateur il nous force à nous mettre à genoux, nous colle sa croix sur le crâne et nous répète sans cesse qu'il pourra tout nous pardonner.

Et via Changeling Clint Eastwood ne rassure que lui. D'où peut être ce sentiment que la farce a désormais tourné court. Ce cloaque de sécurité en termes de narration et d'envies de cinéma (« nous répéterons une histoire vraie et ainsi toute idée de distance sera annihilée, nous ne rentrerons dans aucune intimité mais nous mettrons en exergue les traumatismes les plus violents, tous les troubles que vivent les hommes nous vous les montrerons et la musique sera forte, évidemment, et vous serez heureux d'être de ce côté de l'écran ») donne le tournis. Angelina Jolie sourit quand elle sait qu'elle tend enfin vers la victoire, que les injustes paieront, peu importe leur jugement, et qu'elle pourra enfin trouver un peu de paix. En clôture on nous rappellera à nouveau que ce monde, sous son verni multicolore n'est en vérité que noir et blanc.

On nous apostrophe enfin pour nous rappeler que l'espoir, peu importe les coups durs, est le moteur qui permet aux hommes de ne pas tourner à vide. La force qui permet d'abattre tous les murs. Et en la condescendance d'un dernier sourire d'Angelina Jolie, heureuse d'avoir vaincu les méchants et de gagner en espoir, on lit toute la couardise de ceux qui prennent n'importe quelle idéologie, n'importe quelle idée comme pouvant leur servir d'armure. L'espoir n'est plus un levier, il est devenu une fin en soi. Quand les années ne sont plus synonymes de sagesse mais de paternalisme on ne peut qu'être attristé par l'idée qu'un esprit autrefois vigoureux est en train de mourir. L'élégance de ses traits n'excuse rien.
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le 5 août 2010

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