C'est la première fois que je vois à ce point incarnée l'idée de troupe ou de collectif au cinéma. On sent que tout le monde, les enfants y compris, a l'intelligence du film. Que chacun y va de son improvisation, de son idée, de son imaginaire. Si bien qu'Empereur Tomato Ketchup est moins une fiction qu'un documentaire sur une petite bande de fous furieux (la troupe underground de Tenjo Sajiki, à laquelle se mêlent quelques enfants), ayant eu la présence d'esprit de s'atteler à un récit moins narratif que compilatoire, où laisser libre cours à l'évident plaisir qu'ils ont à inventer des scènes ensemble. Car le film est moins l'histoire d'une dictature future que son illustration ou sa mise en pratique. Terayama part de cette phrase de Marx : "le capitalisme irait à sa ruine si son but était la jouissance et non l'accumulation de richesse", et la pousse à son extrémité, en imaginant la constitution et les lois d'un monde dirigé par des enfants avec des fausses moustaches, ayant fait du ketchup l'aliment national. C'est grâce à ce genre de cinéaste que l'on comprend que le cinéma peut être bien plus qu'un film, que le film est un résultat, le résultat de quelque chose, et que donc pour qu'il y ait film, il faut qu'il y ait quelque chose.