Le premier film d’Andrei Tarkovski (Stalker, Le Miroir) est un produit à contre-courant dans le cinéma soviétique. Le projet était destiné à un autre réalisateur et est vite devenu un projet sans directeur. Les studios Mosfilm s’en remettent alors à Tarkovski, exigeant de tout remanier, scénario comme équipe technique et comédiens, en échange d’un budget réduit de moitié. C’est en 1961, la période du dégel khroutchevien. Bien qu’il évoque la seconde guerre mondiale, L’enfance d’Ivan n’adopte pas un point de vue collectif ni historique.

La guerre est donc un décors et l’art prime sur toutes considérations idéologiques. Le film se concentre sur cet enfant de douze ans, Ivan, éclaireur pour l’armée soviétique, s’engageant contre l’avis de tous, dirigeants y compris, dans une nouvelle mission. C’est un enfant plein de caractère, d’autorité, un genre de Napoléon sans la clarté de l’ambition. À travers lui, Tarkovski aspire, selon ses propos en interviews, à rendre compte de la souffrance de l’ensemble des jeunes russes de cette époque. Ce film focalisé sur une trajectoire personnelle en revient donc à un niveau plus large.

La distinction avec l’immense majorité des productions soviétiques d’époque reste, car il n’y pas d’héroïsme dans L’Enfance d’Ivan, pas plus que de grand destin. Contre-coup de cette disposition, le film flotte dans les démonstrations sensorielles superflues. L’Enfance d’Ivan finit par perdre son sujet de vue et avancer sans but, sinon rajouter des faits inutiles, de la boue, des courses à proximité d’un mal qu’on ne voit jamais. Tarkovski élude la guerre et en arrive à de vaines actions. Les soldats autour n’existent pas, l’enfant est l’objet d’une dialectique sur l’innocence de ce petit être ayant perdu son âme, devenu une machine obstinée, pour laquelle la violence est devenue drogue.

À force de remplir le champ par le rappel de ces idées grandiloquentes, tout en alignant des séquences d’action et de dialogues erratiques, Tarkovski abouti à un résultat conventionnel et vain. L’Enfance d’Ivan apparaît comme un négatif des films de guerre de l’époque, un pot-pourri des productions vues à l’Est et à l’Ouest, où toute substance est retirée pour mettre en valeur à la place cette idée d’un enfant démon malgré lui, quintessence d’un phénomène embarrassant mais dominant par la volonté tous ses acteurs. Cette vision est forte et Nikolaï Bourliaïev un véritable anti-héros.

Autour, un désert, avec quelques traits distinctifs annonçant l’oeuvre ultérieure de Tarkovski, qui ne reviendra plus jamais vraiment à l’action. Quelques effets à noter, comme le zoom impromptu sur la mère au début, la scène des pommes et des chevaux, manifestations clinquantes relativement au reste de la carrière de Tarkovski. Les tentatives réalistes sont ponctuées par une poignée de séquences de rêves, introduites avec une grande subtilité. Le manque de perspective du film le conduira à se replier sur des méthodes ordinaires. Le final consiste en un petit compte-rendu sur la sortie de Goebbels.

http://zogarok.wordpress.com/2014/10/22/lenfance-divan/
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le 25 oct. 2014

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