Voici l’histoire d’un formidable échec, voire d’une débandade extraordinaire. Dans le sable, puis en eaux troubles, puis plus rien du tout, voici le chef-d’œuvre mort dans l’œuf d’Henri-Georges Clouzot. Clouzot piégé à cause du facteur X : Trop. X égal Trop. Une réunion de talents, (trop), de techniciens, (trop), de producteurs, (trop d’argent), de petites mains, (trop de monde). Et trop peu de temps. Henri-Georges Clouzot vaincu par le facteur temps. Par des images d’archives, on voit tout. On voit  le story-board (trop) compliqué ; les photos, les témoignages, des rushes jamais vus, qui nous font pénétrer les coulisses du film culte qui n’est jamais sorti. C’est intéressant, on nous démonte le théâtre des évènements, où comment la machine s’est emballée, de l’intérieur, inexorablement.


   En contraste la prestation de Bérénice Béjo et Jacques Gamblin, qui nous rejouent certaines scènes clés, (là où il n’y avait pas d’images sauvegardées), cela nous donne une idée assez concrète du sujet. Une scène de ménage digne du théâtre de boulevard. Pas terrible comme histoire. On est sidéré par la banalité du sujet, des dialogues sans relief aucun. Comment Clouzot s’est-il laissé prendre par cette histoire là ?


  Et puis ? Il y avait la supertar de service, Romy Schneider. Star incontestée, qui veut se faire un nom en France. Elle est prête à tous les sacrifices, quitte à dire oui au « monstre ». Henri-Georges a la fâcheuse réputation d’un directeur d’acteur tyrannique. Réputation assumé, ça fait partie de sa légende, mais revenons en 1964. Ce film devait concrétiser l’état de grâce de la plus grande actrice du continent européen, voire du monde. Il ne pouvait se résumer qu’à cela. C’était (trop) demander. L’enfer ? Se sera pour toujours un masque de femme. Bleu pâle irisé. Une cigarette qui va à la bouche, en un geste inachevé, le buste droit. Une icône. Les paupières rehaussés, le maquillage en devient presqu’agressif, car incongru. Les lèvres si bleutées… Une extra-terrestre. On se croirait dans de la  SF. L’enfer ?


  Mais que font cette débauche d’effets, de trucages, d’expérimentations (non contrôlées), de couleur(s), de trucs hasardeux, dans mon drame conjugal ? Le tyran, dont on connaît le caractère, et les méthodes pas très orthodoxes, a le vent en poupe. Il ose tout. Les studios américains, voient les premiers rushes. Tout le monde est emballé, c’est très prometteur. Résultat, ils donnent carte blanche, et un budget illimité…Qu’elle erreur !


  L’artiste HGC libéré de ses chaînes, prend alors le dessus sur l’artisan Henri-Georges, qui lui-même voit trop grand, et se prend les pieds dans le tapis. Un metteur en scène, avec un budget « illimité », ça donne toujours des catastrophes. Il n’a plus de date butoir, plus vraiment de planning, plus de comptes à rendre, plus de date de sortie non-négociable…le bonheur ! Et tout le monde sait que l’enfer, est pavé de bonnes intentions. En donnant à Henri-Georges les moyens de faire un chef-d’œuvre, on l’a bridé, et lui s’est illusionné.  Quoiqu’on en dise, les contraintes ça a du bon. La date butoir, le budget serré, une disponibilité limitée des acteurs, l’obligation de résultats...tout ça a du bon.


  Les acteurs eux, qui pensaient faire un film, (donc aller au boulot), se voient embarqués dans la conquête du graal, (donc dans une expérience artistique). Une aventure dont on ne voit pas le bout, ils n’y comprennent plus rien. Les techniciens qui sont là à attendre, et ne savent pas quoi faire. Ils n’y comprennent plus grand-chose. Les problèmes commencent. Il va où Clouzot ? Personne n’y comprend rien. Encore moins les trois équipes techniques, dont deux ne servent à rien. Qu’est-ce qu’on fait ? On attend. Car comme c’est Clouzot, il va trouver la solution, c’est obligé. Mais elle ne vient pas. Et on voit tout le monde s’enfoncer dans les sables mouvants de la création, s’en s’apercevoir de rien, ou alors en faisant l’autruche, ou les deux à la fois. Le patron a forcément raison. On ne dit rien. Trois équipes techniques mobilisées en même temps pour un si petit film ? L’objet du désir, Romy, devient le sujet d’un tableau. On voit du Vasarely. De l’Art cinétique. De l'Art optique. Des propositions d'Art et design. Etc. Son visage et son corps deviennent un sujet d’expérimentation ultime. Elle se couvre de paillètes argentés... Elle devient une sculpture vivante. L’histoire ne compte plus. Le film est vidéo-tableau hommage à l’avant-garde artistique. Amoureux de l’Art moderne, en révolution permanente à l’époque, HGC fait sa proposition. Le tableau s’appelle l’Enfer.


On voit défiler des tonnes d’idées. Déformations d’images, filtres colorées inattendus, plans surréalistes hasardeux. On nage en plein délire. Oublions l’Enfer, le film. Le mari jaloux, l’amant imaginaire. La scène de ménage. Oublions tout ça. Ce n’est pas très intéressant de toute façon.  Pénétrons dans l’atelier de l’artiste HGC, qui a oublié un instant l’artisan Clouzot, qui a oublié le cinéaste de cinéma Henri-Georges Clouzot.


   Jusqu’où va-t’il aller ? Jusqu’à l’échec, c’est sûr. Un artiste ancien ou moderne, seul dans son atelier, même avec beaucoup d’assistants n’a jamais eut de : budget no limit. C’est trop risqué. Chronique d’un échec que personne n’a senti venir. L’Enfer, pas celui qu’on espérait. Pas celui de la jalousie. L’autre. Celui contre lequel on ne peut rien, et qui tombe fatalement. La mur de la réalité. Pour sortir de l’Enfer, il fallait un échec. C’est ça le problème quand il y a un patron seul maître à bord, et qui ne rend plus de comptes. Tout le monde a peur de lui, et personne n’ose rien dire, même quand on coule à pic.


Attention ! Décrochage…


  Le phénomène du décrochage est très connu. C’est le moment où le commandant de bord commence à perdre les pédales, et plonge irrémédiablement, entraînant tout le monde avec lui. Á ce moment là, il n’est plus en mesure de se rendre compte de la gravité de la situation. Il y a urgence, et il faut vite enclencher la procédure T.O.G.A

Angie_Eklespri
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le 13 mars 2019

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Angie_Eklespri

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Inferno Clouzo !!!

Bienvenu en enfer, pas celui de Dante non, celui de Henri Georges Clouzo bien que m'on puisse y trouver des similitudes ................mais aucun film à voir, jamais achever car henri GC...

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