L'Enfer de la corruption est un classique de Film Noir abondamment cité, entre autres sommités, par Martin Scorsese et Bertrand Tavernier de son vivant. L'œuvre d'Abraham Polonsky, à la base scénariste qui subira les foudres du maccarthysme, détonne au sein du genre à plusieurs niveaux.


Les dialogues mitraillette, au débit rappelant davantage les stricts films de gangster antérieurs, sont ouvertement stylisés et construits comme des symphonies musicales. Pour un médium où le "show don't tell" s'impose souvent comme une irrécusable profession de foi, Force of Evil donne rétrospectivement et plus que jamais envie de fêter son passage du muet au parlant. L'amour littéraire du mot qui claque, au mépris de tout réalisme, lui donne des airs de poème lyrique.


La charge politique, frontale et cynique, fait froid dans le dos de par son acuité et son absence totale de compromis. Les personnages sont tous des victimes plus ou moins consentantes du système vicié avec lequel ils sont contraints de composer. Polonsky associe sans ménagement gangstérisme et capitalisme, et réussit le tour de force de rendre compte du fonctionnement global d'une société pourrie via le seul dessin de ses caractères hypocrites, malveillants ou simplement veules.


Ces deux dimensions pourraient asseoir son statut de chef-d'œuvre à elles seules, mais le cinéaste dote également son film d'une réelle aura tragique. Pour se faire, il axe son propos autour du récit biblique d'Abel et Caïn avec cette histoire de trahison entre deux frères. John Garfield et Thomas Gomez, éblouissants, donnent chair et âme aux grands dilemmes moraux exposés par le métrage.


Une amourette finement écrite avec le personnage incarné par Béatrice Pearson (qui évite tous les clichés de la fille innocente tentée par la corruption) finira d'alléger ce bien sombre tableau, ces deux îlots de sensibilité apportant un contrepoint bienvenu à la violence socio-politique presque écrasante de L'Enfer de la corruption.



RobinTholet
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Cuvée 2024

Créée

le 27 mars 2024

Critique lue 3 fois

Robin Tholet

Écrit par

Critique lue 3 fois

D'autres avis sur L'Enfer de la corruption

L'Enfer de la corruption
Kalian
5

« Quand je veux faire passer un message, je ne fais pas de cinéma : je l'envoie par la poste » John

Cette pellicule m'a été présentée durant mes recherches comme un brulot anticapitaliste sous forme de film noir, réalisé par un cinéaste aux sympathies notoirement communistes, future victime du...

le 11 avr. 2011

22 j'aime

6

L'Enfer de la corruption
Alligator
4

Critique de L'Enfer de la corruption par Alligator

nov 2010: Film noir compliqué à l'excès, qui s'embourbe de personnages et de relations annexes inutiles. Je ne connaissais pas Polonsky mais je ne m'attendais pas non plus à pareille lassitude, voire...

le 15 avr. 2013

5 j'aime

2

L'Enfer de la corruption
rayharryhausen
6

Critique de L'Enfer de la corruption par Ray Harryhausen

Ce film a acquis à mes yeux et avant même que je l'ai vu, un statut de film culte, étant régulièrement cité par Scorcese (notamment dans son documentaire fleuve sur le cinéma américain) comme une de...

le 17 mai 2013

3 j'aime

Du même critique

American Fiction
RobinTholet
5

Quémander son Oscar, le manuel

Pour quémander un Oscar, la recette est simple :1) Prenez un acteur habitué des seconds rôles et donnez-lui enfin la place qu'il mérite sous les spotlights, avec une performance qui lui permet de...

le 19 févr. 2024

4 j'aime

L'Empire
RobinTholet
8

Les vaches des étoiles

Sacré Bruno Dumont. Le bonhomme persévère sur la voie comique amorcée avec Ma Loute, étendue à son diptyque sur Jeanne d'Arc et à ses deux mini-séries. S'attaquant pour la première fois de plein pied...

le 26 févr. 2024

2 j'aime

Mon ami robot
RobinTholet
7

Les aléas de la vie

Curieux film d'animation que Mon ami robot, dont le crayonné minimaliste, les couleurs pastel et le parti-pris d'absence totale de dialogue sont souvent réservés aux court-métrages projetés en...

le 22 févr. 2024

2 j'aime